La liberté de la presse n’est qu’un vague souvenir dans la Start-up Nation. Pour une couverture jugée hostile à Macron, le directeur de rédaction du journal La Provence, basé à Marseille, a été mis à pied par un milliardaire.
Le 19 mars, Macron organisait une mise en scène dans la cité Phocéenne dans le cadre d’une opération anti-drogue. Accompagné de journalistes, il s’était déplacé dans un quartier populaire de la ville. Le journal La Provence avait titré cette citation en couverture le lendemain : «Il est parti et nous on est toujours là…»
Cette Une avait mis en colère des élus macronistes. Le propriétaire du média avait immédiatement sanctionné le directeur de rédaction, Aurélien Viers.
L’actionnaire principal du journal se nomme Rodolphe Saadé. C’est un multimilliardaire – 9,2 milliards d’euros de fortune, c’est le 8e plus riche français – qui possède la firme CMA-CGM, une multinationale du transport et de la logistique. Il possède La Provence, mais aussi Corse-Matin et La Tribune, et se construit tranquillement un empire médiatique, comme d’autres ultra-riches avant lui. D’ici l’été prochain, il sera propriétaire du groupe Altice Media, le groupe de Patrick Drahi. Les chaînes BFM et RMC vont donc changer de mains et appartiendront à Saadé.
«Le patron de CMA-CGM et le chef de l’État se connaissent bien et se rencontrent fréquemment. Et même en public, on les a souvent vus côte à côte» écrit le journal Mediapart, qui souligne la grande proximité du milliardaire avec Brigitte Macron.
Suite à cette sanction contre la direction d’un journal, qui porte gravement atteinte à la liberté de la presse, la rédaction de La Provence a annoncé une grève illimitée. En solidarité, la rédaction de la Tribune, également possédée par Rodolphe Saadé entamera une grève à partir de mardi.
Cette attaque n’est pas isolée. Il y a quelques jours seulement, le journal L’Express révélait que le Premier Ministre Gabriel Attal avait mis un coup de pression au chef d’un média télévisuel : «Tu changes de bandeau tout de suite ou tu ne viens plus dîner à Matignon», avait menacé le chef du gouvernement après un simple bandeau s’affichant à l’antenne qui ne lui aurait pas plu. Cet échange démontre à la fois que le gouvernement se permet d’appeler directement des patrons de médias pour les intimider, mais aussi qu’ils dînent régulièrement ensemble. C’est un clan.
Le 6 juillet dernier, le journal local Oise Hebdo publiait sur son site internet un article sur le policier qui avait tué le jeune Nahel, mentionnant la ville où il réside. Le jour même, le ministère de l’Intérieur avait tenté de faire retirer l’article, puis quelques heures plus tard, Gérald Darmanin annonçait avoir saisi procureure de la République contre le journal.
En novembre 2022, le tribunal de Paris ordonnait, sans audience ni débat contradictoire, la censure préalable d’une enquête de Médiapart. Deux mois plus tôt, Le Monde supprimait l’article d’un chercheur en science politique critiquant la visite de Macron en Algérie et présentait ses excuses au président dans un édito. On ne compte plus les journalistes auditionnés par les services de renseignements suite à un article, par exemple Ariane Lavrilleux, perquisitionnée et placée en garde à vue en septembre dernier pour une enquête sur l’armée. On ne compte plus non plus les journalistes blessés ou arrêtés par la police en manifestations. En 2022, Gérald Darmanin avait même tenté de dissoudre Nantes Révoltée, ancêtre de Contre Attaque.
Une poignée de milliardaires ont ainsi le monopole des médias de masse, ce qui partage l’échiquier politique dominant du macronisme – chez BFM – au néofascisme – pour l’empire Bolloré. La gauche y est absente ou diffamée. Et les rares journalistes qui y font encore leur travail sont réprimés.
La grève massive de l’été dernier au Journal du Dimanche est à ce titre éloquente : dans cet hebdomadaire qui était jadis macroniste, la rédaction s’est mobilisée pendant des semaines contre le rachat par Bolloré, sans succès. Et à présent, le JDD est de nouveau validé par le gouvernement qui lui offre régulièrement des interviews. C’est ainsi que le champ des idées, l’échiquier médiatique, se droitise sans cesse davantage.
Dans ce contexte, la riposte est vitale : faire exister des analyses et des mots d’ordre hors de la pensée unique répressive, islamophobe et néolibérale. Soutenez, partagez, financez les médias indépendants, comme Contre Attaque – qui n’a ni subvention, ni recettes publicitaires, ni riche propriétaire pour fonctionner – et tous les autres…
Article publié le 23 mars 2024 par Contre-Attaque