« On a gagné, les doigts dans le nez ! » Sur son live YouTube, ce dimanche 30 juin, Daniel Conversano se réjouit : le Rassemblement national (RN) n’a jamais été aussi proche du pouvoir. Mais très vite, le militant néonazi et suprémaciste blanc, 30.000 abonnés, tempère : « La semaine prochaine, ça va pas forcément être ça. »

Alors que le second tour des élections législatives s’annonce plus tendu que jamais, l’extrême droite participe activement à la campagne sur internet. Et notamment grâce à des dizaines d’influenceurs dévoués à sa cause. 

« Larmes de gauchistes »

Le RN, anciennement FN, a toujours été précurseur sur internet. « Avant ces dernières années en tout cas, le RN portait des idées qui n’étaient pas relayées par les médias mainstream, note Tristan Boursier, chercheur associé au CEVIPOF. Le parti a dû développer des canaux alternatifs pour diffuser et rejoindre un camp militant. Le FN utilisait le Minitel, et c’est le premier parti en France à avoir eu un site internet. » Normal que ses partisans se soient donc emparés très tôt, au début des années 2010, des réseaux sociaux. Selon Tristan Boursier, nous en sommes déjà à la troisième génération d’influenceurs d’extrême droite. Et plus que des figures très médiatisées ces dernières années comme PapacitoValek Noraj, ou Le Raptor, ce sont d’autres influenceurs qui se montrent aujourd’hui très actifs pour les élections.

Parmi eux, Julien Rochedy, 140.000 abonnés sur X (ex-Twitter). Cocktail dans une main et cigare à la bouche, L’ancien responsable du Front national de la jeunesse (RNJ) pose fièrement sur Instagram à quelques heures des résultats : « A voté. Maintenant j’attends les larmes de qui vous savez. »Julien Rochedy pose sur Instagram, quelques heures avant les premières estimations du 1er tour.

Les larmes de qui ? « Les larmes de gauchistes n’ont jamais été aussi bonnes », répondra Thonia, influenceuse zemmouriste suivies par 39.000 personnes sur Tik Tok, dans un post publié peu de temps après 20 heures. L'influenceuse Thonia.

De son côté, le compte Une Bonne Droite, qui vante auprès de ses 22.000 abonnés un « nationalisme positif et enthousiasmant », rappelle qu’une tasse pour « larmes de gauchistes », est disponible sur sa boutique en ligne. Une Bonne Droite commercialise une tasse pour boire les « larmes de gauchistes »

Au-delà de ce gimmick, les créateurs de contenus ancrés à l’extrême droite s’appuient depuis leur émergence en ligne sur des références communes et un humour oppressif. Surtout un soir de défaite pour la gauche. « Il semblerait que la stratégie consistant à traiter des millions de Français de “nazis” n’ait pas été d’une efficacité redoutable »ironise ansi Lapin du Futur, suivi par 37.000 personnes sur Twitter et plus de 100.000 sur YouTube. 

Très vite pourtant, ces figures à part des réseaux ont laissé la célébration de côté pour reprendre leur campagne en ligne avec un objectif clair : une majorité absolue pour le RN à l’Assemblée nationale. 

Se mobiliser, sur tous les canaux

X est essentiel pour la fachosphère. Parce que le propriétaire du réseau, le milliardaire Elon Musk, affiche son soutien à la droite radicale. Mais aussi parce qu’il regorge de médias d’extrême droite comme Frontières (ex-Livre Noir), FdeSouche, ou de comptes plus discrets, comme Realité Actuelle, Gazette_fr, ou C pas des lol, mais dont les contenus participent activement aux campagnes anti-immigration et anti-LGBT. 

Mila Orriols, victime d’un harcèlement de masse après des propos anti-islam en 2020, et depuis proche des milieux d’extrême droite, relaie quotidiennement ces comptes, et parfois même leurs produits dérivés, comme un sweatshirt « ministère de la remigration », vendu par Une Bonne Droite. 

Récemment enfarinée à Paris pendant la Pride lors d’une contre-manifestation, la jeune femme incite également à relayer la chanson « Je Partira Pas », dont elle a réalisé sa propre reprise. L’hymne pro-RN, ouvertement raciste, a d’ores et déjà accumulé des millions de vues sur X, TikTok, YouTube ou Facebook. Au même titre que le mouvement Gauche d’Internet, ces militants nationalistes misent naturellement sur des chansons virales, des mèmes, edits et montages photos, pour toucher leur cible. En détournant par exemple des affiches du Nouveau Front Populaire (NFP).Une affiche du Nouveau Front Populaire détournée et postée par Alice Cordier.

Sur YouTube, des personnalités du milieu, comme Thaïs d’Escufon ou Georges (163.000 abonnés pour ce vidéaste identitaire récemment remarqué pour ses propos en faveur d’un droit, pour les policiers, à tirer en cas de refus d’obtempérer), préfèrent publier leurs vidéos habituelles visant « l’islamo-gauchisme » ou les personnes transgenres, sans pour autant les relier explicitement aux élections. Les discussions sur l’entre-deux tours passent plutôt par des lives, sur YouTube ou Twitch. Inspirés par des formats de radio libre, des personnalités de la fachosphère comme Kroc Blanc (86.000 abonnés), Nicolas Faure (30.700 abonnés) ou Psyhodelik (236.000 abonnés) inondent leurs canaux de directs et de replays, pour cibler les « gauchistes en pleine crise de nerfs »  ou les « castors hystériques ». Très réactifs, il leur suffit d’un tweet polémique ou d’un Tik Tok de militant pour nourrir de longues vidéos. 

Pour les influenceurs bannis de certaines plateformes, la campagne se déroule sur des canaux plus privés. Outre Telegram, où Daniel Conversano fait des vocaux et partage des messages de Marion Maréchal, certains se tournent vers Patreon, accessible sur abonnement. C’est le cas de Baptiste Marchais (103.000 abonnés sur Instagram) et de Le Guiz (21.000 abonnés), qui réalisent régulièrement des podcasts ensemble.

Cibler LFI… et ses soutiens

Pour autant, les collaborations entre influenceurs sont plutôt rares. Ils n’ont ainsi pas lancé d’initiative en réponse au Stream Populaire. Selon Tristan Boursier, leur lien idéologique suffit : « D’un point de vue idéologique, ils sont liés par la même vision nationaliste, nativiste de la société, un positionnement anti-démocratique, et leur tendance à valoriser l’autoritarisme et le besoin d’un homme ou d’une femme forte au pouvoir, avec une forte séparation des humains, selon leur genre ou leur origine. Leur anti-égalitarisme est très marqué. » Leur adversaire dans cette campagne électorale était donc tout trouvé : La France Insoumise et ses soutiens.

Si le programme du NFP est parfois critiqué, les publications ciblent avant tout leurs représentants les plus médiatisés. Jean-Luc Mélenchon d’abord. Mais aussi des candidats comme le militant antifa Raphaël Arnault, car fiché S, ou Marine Tondelier pour ses prises de position sur l’environnement ou le féminisme.Lapin du futur partage un meme moquant Marine Tondelier.

Bruno Attal, ancien policier et militant d’extrême droite suivi par 108.000 personnes sur X, cible Louis Boyard pour son passé de vendeur ponctuel de drogue, ou Rima Hassan, élue européenne LFI, qu’il accuse de « mobiliser les antisémites et les islamistes ». D’autres tweets à son encontre sont ouvertement misogynes et sexistes. Raquel Garrido ou Clémence Guetté sont également visées par des commentaires sur leur voix ou leur physique. 

Ces influenceurs multiplient également les messages moqueurs contre les personnalités publiques engagées contre l’extrême droite. La chanteuse Aya Nakamura, le footballeur Kylian Mbappé, ou le streameur MisterMV sont raillés pour leurs appels à faire barrage. 

Dans un message sur son compte X suivi par 64.600 personnes, Alice Cordier, du collectif de féministes identitaires Némésis, évoque des « influenceurs payés à prendre position » mais dont « la propagande […] n’a pas vraiment marché. » Une référence à des accusations portées par l’influenceur Jeremstar, amplifiées par des comptes d’extrême droite pendant la campagne, mais jamais confirmées par d’autres témoignages ou éléments factuels. Alice Cordier relaie une fausse information sur les influenceurs.

Le clip de rap anti-RN No Pasaran, mis en ligne le 2 juillet par un collectif de rappeurs comme Alkpote, Akhenaton et Fianso, va néanmoins centraliser toutes les critiques à l’extrême droite. Et notamment pour ses propos sexistes et complotistes. « Alkapote, ptdr le mec qui est un énorme blandeur [sic] d’Hitler, antisémite assumé »accuse Kroc Blanc, lui-même rappeur et ancien membre de l’Équipe Communautaire Paris, groupuscule de suprémacistes blancs, comme l’a raconté Streetpress début juin« Quand je vous dit que nous à droite on a pas besoin de faire campagne pour ces législatives, c’est qu’en face ils font très bien le boulot tout seuls »s’amuse de son côté Le Bracq, 70.000 abonnés sur Tik Tok et soutien affiché du RN.Le Bracq.

Renverser le discours sur la violence du RN

Au-delà de ces attaques ciblées, la plupart de ces influenceurs maintiennent un objectif commun : prouver par tous les moyens que la violence et la haine, ce n’est pas à l’extrême droite qu’on la trouve, mais à gauche, chez LFI, ses militants, et chez les personnes d’origine immigrées. Le Lapin du Futur publie ainsi une vidéo de douze minutes pour contredire un reportage d’ « Envoyé Spécial » dans lequel une femme explique être victime d’insultes racistes de la part de ses voisins et qui a entraîné des dépôts de plainte mutuels. En réponse aux multiples agressions et descentes récemment organisées par des groupuscules radicaux d’extrême droite, ils relaient massivement des annonces d’agressions qu’ils relient à « Crépol ». Dans ce village de la Drôme, en novembre dernier, un jeune homme de 16 ans prénommé Thomas a été tué en marge d’un bal. Libération raconte que le meurtre a depuis été largement récupéré par l’extrême droite, et beaucoup d’influenceurs de la fachosphère s’en servent aujourd’hui pour désigner des « nouveaux » Crépol lorsque des agressions d’hommes blancs surviennent, comme récemment en Isère ou aux Sables d’Olonnes.

« Les gens en ont marre de se faire planter, que voulez-vousécrivait sur X Alice Cordier le soir du premier tour. Désolé si vous avez cru que nous étions un peuple de soumis. »

« Les gauchistes devraient pas avoir le droit de vote, lance Kroc Blanc dans une story publiée le 30 juin, devant CNews et des images de scooter brûlés en marge du premier tour. C’est des gens qui doivent être ravagés par les maladies mentales. » « Beaucoup de menaces circulent contre les électeurs RN, l’entre-deux-tours sera totalement hystérisé par la gauche, soyez prudents »écrit Laurent Obertone, essayiste maurrassien suivi par 125.000 personnes sur X. « Quand la police sera désarmée, ils entreront dans vos maisons même si vous n’êtes pas juifs », renchérit Bruno Attal, qui partage par ailleurs de fausses informations à propos d’un incendie à Bobigny, sans lien avec le résultat des législatives

Rallier la droite et les centristes

L’autre motif de mobilisation, enfin, c’est le barrage anti-RN, souhaité notamment par Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Selon ces influenceurs, les désistements au profit de candidats NFP ou Ensemble serait en réalité un barrage fait aux Français. « [Emmanuel Macron] a tellement bien compris le message passé des Français lors des Européennes, qu’il s’associe avec les LFIstes… Exactement ce que 12 000 000 de Français ont rejeté ce soir… », estime Le Jarl, videur breton, souvent catégorisé à l’extrême droite, 57.000 abonnés sur X. Lapin du Futur est plus virulent encore : « Dimanche c’est les macronislamistes ou la France, point barre. »

D’autres figures du milieu insistent sur la nécessité de rallier à leur cause les électeurs LR et centristes. Dès le 30 juin, Damien Rieu écrivait : « Ils ont la clef. Veulent-ils que la France devienne le Venezuela ? Veulent-ils offrir la France au pro-Hamas ? Veulent-ils la faillite ? » Damien Rieu appelle à convaincre les centristes de voter pour le RN.

« Vous avez un devoir mystique, religieux, affirme même Nicolas Faure en live YouTube le 2 juillet. Il s’agit de tout faire pour convaincre les gens que le Front Populaire, c’est l’enfer. » 

Objectif majorité absolue, donc, pour ce 7 juillet. Et après ? « Un certain nombre d’entre eux considèrent le RN comme la frange la plus à gauche de l’extrême droite, rappelle Tristan Boursier. Pour eux, c’est important de rester en ligne car leur parole est plus directe et leurs projets sont encore plus radicaux. » « Ha il y a l’extrême droite aux législatives ? », s’amusait ainsi Baptiste Marchais, dans le podcast Radio Dixie, publié le 2 juillet. « Non, pour moi c’est que des partis de gauchistes », répondait son camarade Le Guiz, dans un sourire.

Léo Meunié

Publié par La Revue des Médias – INA – le 5 juillet 2024