Suite à la publication en 2019 d’une enquête « Socfin/Cambodge : les terres rouges des
Bunongs perdues à jamais », l’entreprise Socfin (détenue par le groupe Bolloré et Hubert
Fabri) a attaqué Médor devant la justice pénale luxembourgeoise.
Six ans, des milliers d’euros, des auditions, des inculpations et des heures de défense et de
stress plus tard, la justice a ordonné un non-lieu, le 30 avril dernier. Médor dénonce une
procédure-bâillon.
Lors d’une enquête « Socfin/Cambodge : les terres rouges des Bunongs perdues à jamais », publiée
par Médor en 2019, le journaliste Cédric Vallet évoquait une «concession litigieuse sur laquelle
flottent des soupçons de corruption» sur des terres forestières occupées par une minorité autochtone
(Bunongs-Cambodge).
Suite à cette publication, l’entreprise Socfin, détenue par le groupe Bolloré et Hubert Fabri, a porté
plainte contre Médor en juin 2019, devant la justice pénale luxembourgeoise.
Médor, sa directrice, et son journaliste Cédric Vallet ne seront convoqués que quatre ans plus tard
devant la juge d’instruction ! A l’issue de cette audition, la magistrate signale que Médor et son
journaliste sont inculpés pour diffamation et/ou calomnie ainsi que pour injure-délit.
Mais près d’un an plus tard, le parquet annonce qu’il n’a pas l’intention de poursuivre Médor.
Malgré la volonté du magazine belge d’être totalement innocenté dans cette procédure, la plainte de
Socfin débouche en avril 2025 sur un non-lieu pour prescription. Socfin pouvait faire appel de ce
non-lieu endéans les cinq jours. La société n’a pas réagi. Ce n’est pas une surprise. Pendant toute la
procédure, la société n’a jamais montré aucune volonté de faire aboutir cette affaire.
Médor a perdu beaucoup de temps. Et d’argent. 18.424,70 euros pour être précis. En 2025, environ
5 %denotre budget, déjà tendu, est consacré à cette action.
Pendant les six années de la procédure, nous n’avons rien communiqué de cette affaire, sur le
conseil de nos avocats. Aujourd’hui, Médor dénonce une procédure qui nous semble pouvoir être
qualifiée de procédure-bâillon.


RAPPEL DES FAITS
6 mars 2019– Médor publie sur son site l’enquête de Cédric Vallet « Socfin/Cambodge : les terres
rouges des Bunongs perdues à jamais ». L’article raconte comment Socfin, géant de l’huile de palme
et du caoutchouc, détenu par le milliardaire belge Hubert Fabri et le groupe Bolloré, a obtenu de
l’État un bail sur des terres forestières occupées par une minorité autochtone (Bunongs), pour y
planter des hévéas, les arbres à caoutchouc. Médor évoque alors une «concession litigieuse sur
laquelle flottent des soupçons de corruption». L’auteur de l’article, Cédric Vallet, est un journaliste
chevronné, avec qui Médor travaille régulièrement. Pour cette enquête, il a voyagé dans la région du
Mondolkiri, rencontré des avocats, des habitants et représentants du village de Busra, des
associations, des responsables d’administrations locales et nationales, et d’anciens travailleurs de
l’entreprise. Des membres des Nations Unies et d’ONG internationales ont également été
interviewés. Un entretien contradictoire a été mené avec Socfin. Un travail rigoureux, effectué dans
le strict respect des règles de la profession, et édité par Médor.
25 février 2021– Cédric Vallet est auditionné par un Commissaire du SPJ de Luxembourg. Il y
apprend que Socfin a porté plainte le 6 juin 2019, suite à son article, soit le dernier jour du délai.
Cette plainte porte principalement sur plusieurs aspects : les allégations de corruption et la notion
« d’accaparement des terres » et même de « conflit foncier », pourtant avéré et documenté depuis 2009.
La question de l’accaparement des terres est un sujet très sensible pour Socfin et, au-delà, pour le
groupe Bolloré qui a pour habitude de dégainer des procédures de ce type contre des journalistes.
Socfin évalue le préjudice qu’elle aurait subi à 20.000 euros, sous réserve d’augmentation.
17 mai 2023– La procédure traine. Médor et Cédric Vallet sont finalement convoqués par la juge
d’instruction. Médor doit pour cela faire appel à des avocats luxembourgeois dès lors que le cadre
législatif y est spécifique et différent du cadre belge. A l’issue de cette audition, la magistrate
informe Médor et Cédric qu’ils sont inculpés pour diffamation et/ou calomnie ainsi que pour injure
délit.
Mars 2024– Le débat devient technique… Le parquet fait savoir qu’il n’a pas l’intention de prendre
des réquisitions en vue de poursuivre Médor. Autrement dit, l’affaire va s’endormir peu à peu
jusqu’à ce qu’il y ait prescription sans que Médor puisse être officiellement mis hors de cause. En
l’absence de réaction de Socfin et sur les conseils de nos avocats, Médor et son journaliste décident
de saisir la chambre du conseil, pour demander une « vraie » décision de justice. Et démontrer que
Socfin a lancé une procédure destinée à nous épuiser, qui s’apparente à une procédure-bâillon. Une
prise de position de plus de 60 pages est communiquée au parquet en ce sens. Notre volonté de
mettre en cause par la suite la responsabilité de Socfin pour procédure abusive, et de lui réclamer
l’indemnisation du dommage subi (en ce compris nos frais de conseil) y est longuement
argumentée.
Décembre 2024– Le parquet maintient son refus de saisir la chambre du conseil et estime que
notre prise de position ne ferait pas partie du dossier répressif dans la mesure où l’instruction a été
clôturée par une ordonnance du 17 novembre 2023, et ce en dépit des contestations émises par nos
conseils.
23 avril 2025– Nos avocats déposent un mémoire sollicitant que la chambre du conseil reconnaisse
expressément l’absence d’infraction pénale dans notre chef, ou au moins l’absence de charges
suffisantes à notre encontre, et ce même dans l’hypothèse où elle estimerait que les faits sont
prescrits.
30 avril 2025– La plainte débouche sur un non-lieu pour prescription, à défaut de démarche
judiciaire ayant interrompu la prescription… Socfin, lui, n’a jamais réagi. Ni pendant la procédure,
ni au-delà (ils avaient 5 jours pour faire appel de ce non-lieu).
Médor a donc perdu beaucoup de temps. Et d’argent. 18.424,70 euros pour être précis. Un montant
qui nous aurait mis en péril, si nous n’avions pas été couverts en partie par notre assurance (qui à ce
jour couvre un tiers de ce montant). En 2025, environ 5 % de notre budget, déjà tendu, est consacré
à cette action.


CE QUE MÉDOR DÉNONCE:
Pendant les six années de la procédure, nous n’avons rien communiqué de cette affaire, sur le
conseil de nos avocats. Aujourd’hui, nous dénonçons une procédure qui nous semble pouvoir
être qualifiée de procédure-bâillon. Car elle vise à nous mobiliser, nous épuiser physiquement,
psychologiquement et financièrement. Cette terminologie, nous ne la sortons pas d’un chapeau,
elle est définie par la directive européenne du 11 avril 2024 (UE) 2024/1069. Cette directive, qui
doit être transposée pour le 7 mai 2026 au plus tard, ne vise que les procédures civiles et
commerciales. Il reste à espérer que le législateur belge l’étende aux procédures pénales1.
Bien que l’argument de la procédure abusive ait été longuement étayé dans nos écrits, la chambre
du conseil luxembourgeoise ne l’a pas retenu– à noter que la directive n’est pas non plus encore
transposée en droit luxembourgeois– et a même relevé que dans les circonstances ressortant du
dossier, Socfin a pu agir de bonne foi. Si nous ne remettons pas en cause la vérité judiciaire (nous
n’avons aucun recours contre cette décision), cette dernière appréciation est difficile à accepter.
Pour Socfin, entreprise d’envergure mondiale, qui dispose de gigantesques ressources
financières, cette procédure ne coûte rien. Pour un journaliste indépendant et un média
comme Médor, le coût financier et humain est énorme. Il existe donc un rapport de force
totalement déséquilibré.
La procédure pénale engagée à notre encontre constitue selon nous une claire tentative
d’intimidation, l’objectif étant de nous réduire au silence et de nous empêcher de mener notre
mission, celle de traiter et d’éclairer des sujets d’intérêt général. Sans même parler des effets
financiers et psychologiques, cette action en justice pourrait décourager voire empêcher Cédric
Vallet– et d’autre journalistes- de travailler sur des sujets sensibles, voire sur ce groupe. Alors
qu’il voulait poursuivre son enquête au Ghana sur le cacao belge, Cédric a vu sa demande de


1 Voir à ce propos l’avis de l’AJP concernant l’avant-projet de loi transposant cette directive en Belgique, signalant au
passage la « recrudescence des pressions, poursuites et menaces de poursuite à l’encontre des journalistes (…) et des
médias » www.ajp.be/wp-content/uploads/2025/11/AJP-Consultation-Avant-projet-loi-SLAPP-Annelies-Verlinden.pdf.
passeport en urgence (au consulat français) bloquée. Car suite à ce procès, Cédric figurait… dans le
« fichier des personnes recherchées ». Socfin, lui, a lancé cette plainte, mais n’a ensuite pas démontré
de volonté de faire avancer la procédure, ni de la voir aboutir.
Socfin n’a pas cherché à clarifier ses accusations, n’a pas agi comme une structure réclamant
justice. Elle a déposé une plainte, puis a laissé… Médor réagir et se débattre avec la justice pendant
cinq ans, pour laisser au final l’action se prescrire.
Selon une enquête de Bloomberg sortie en avril 20252, Socfin et le groupe Bolloré ont ces dernières
années intenté plus de 50 poursuites judiciaires contre des journalistes, des ONG et des militants.
Aujourd’hui, ces acteurs puissants attaquent des titres de presse mais en soutiennent d’autres en
Belgique au nom de la liberté de la presse. Celle qui est en accord avec leur vision, celle qui ne
remet pas leur discours en question. Mais qui leur permet de diffuser leurs idées.
Médor, lui, poursuivra son travail d’investigation, d’enquêtes, dans la perspective d’intérêts
publics, à l’opposé des intérêts de quelques milliardaires.
Notre indépendance n’est pas un slogan. C’est une structure : Médor est une coopérative de presse.
Ses comptes sont publics, la totalité de ses revenus sont transparents, des coopérateurs et
coopératrices sont dans le conseil d’administration. Aucun actionnaire, aucune association, aucune
ONG, aucun pouvoir public n’a d’intérêt économique dans notre projet. Médor ne sert pas les
intérêts de quelques-uns, mais celui de l’intérêt général, porté et garanti par nos coopérateur.ices.


Les membres du Conseil d’administration de Médor