Depuis peu, ChatGPT, comme d’autres IA génératives et conversationnelles, produit sur demande des synthèses d’actualité. À la question « Que s’est-il passé hier à Gaza ? », par exemple, le chatbot répond en une vingtaine de lignes, souvent en trois points, en mentionnant au maximum dix sources. De la sorte, cette IA est devenue un intermédiaire stratégique entre les médias et les usagers (un infomédiaire). Comme les agrégateurs de nouvelles du type Discover, Google Actualités ou Yahoo News, ChatGPT sélectionne et hiérarchise des publications, jouant ainsi sur la découvrabilité des médias d’information.

Mais que sait-on du tri opéré par cette IA dans l’immensité des médias présents sur Internet ? Pour le savoir, nous avons posé durant un peu plus d’un mois (du 20 juillet au 31 août), et depuis la France, cette question à ChatGPT 4.1.

Découvrabilité dégradée

Le premier constat qui s’impose est que ChatGPT restreint sensiblement le nombre de médias proposés à la consultation. Les liens référencés ne renvoient pas uniquement à des sites de médias. Des ONG, organisations nationales ou internationales et des centres d’études sont en effet sélectionnés à hauteur de 15 % de l’ensemble des sources. Et lorsque les liens renvoient à des médias, l’écart entre Google Actualités et ChatGPT est très important.

Considérant uniquement les publications des vingt-quatre dernières heures, Google Actualités propose quotidiennement entre 25 et 60 publications issues de la presse d’information (45 en moyenne), lorsque ChatGPT en propose entre 5 et 10 (7,8 en moyenne) — soit environ six fois moins. L’écart peut être beaucoup plus important. Par exemple, le 23 août 2025, sur huit sources sélectionnées, seules quatre étaient des médias, tandis que Google Actualités proposait 42 publications de 29 médias différents.

La presse indépendante est quasi inexistante dans les sources référencées

L’origine des médias constitue aussi une différence majeure comparativement à Google Actualités. Cet agrégateur sélectionne de manière quasi exclusive des publications francophones de médias français. Il contribue de la sorte à la découverte et à la consultation de contenus des industries de presse nationales. Pour sa part, ChatGPT sélectionne principalement des publications issues de médias étrangers : 81 % en moyenne et 100 % certains jours. Pour l’usager, cette ouverture aux sources internationales peut être considérée comme un gain informationnel, notamment en termes de diversité géographique des sources. Pour les médias, les gains sont plus incertains. L’extension de la concurrence pour la découvrabilité à l’échelle internationale rend les industries françaises de presse moins visibles et donc moins consultables.

Autre différence : pour chacune des publications sélectionnées sur Google Actualités, le logo et le nom du média apparaissent distinctement dans l’ordre de lecture de la page. Il n’en va pas de même pour les sources sélectionnées et affichées par ChatGPT. Avant que l’usager ne clique sur la barre les mentionnant, seuls les logos des quatre premières figurent en très petit format.

sources ChatGPT
Capture d’écran sur ChatGPT
sources sur Google Actualités
Capture d’écran sur Google Actualités

Après avoir cliqué sur cette barre, les sources apparaissent distinctement avec le logo, le nom de domaine et une partie de titre. Cependant, les sources audiovisuelles extraites de plateformes ne font apparaître que le logo de la plateforme, et non celui de la chaîne, ou (cas plus rare) celui de l’émission. Comparativement à Google Actualités, la visibilité éditoriale des médias sélectionnés est donc très dégradée. Sans parler de la hausse du zéro clic sur les sites de presse, observée depuis le déploiement des IA grand public, qui entraîne un manque à gagner pourtant vital pour les médias.

Prime aux médias des grands groupes

Ces comparaisons ne doivent pas laisser oublier les enjeux de dépendance et de diversité liés à la domination des agrégateurs historiques. Les services de Google, Discover notamment, sont devenus la principale source de trafic des médias. Selon des critères imposés à la presse, les agrégateurs sélectionnent les publications qui seront portées à l’attention d’une grande majorité des publics. Les entreprises de presse possédant les ressources nécessaires ont donc réorganisé leur production afin de favoriser leur référencement. Moins dotée en ressources, la presse indépendante est la grande perdante de cette médiation. Est-ce que ChatGPT modifie d’une manière ou de l’autre ces logiques de concentration ? En aucun cas. Cette presse est quasi inexistante dans les sources référencées. On pourrait supposer que son absence est liée au sujet international de notre enquête, mais la guerre à Gaza a été fréquemment traitée par de nombreux médias indépendants pendant toute la période considérée (Orient XXI par exemple).

Une étude de 2019 a montré que le référencement de Google Actualités aux États-Unis privilégie les mêmes médias en ligne. Dans le top 5 apparaissaient cnn.com, nytimes.com, washingtonpost.com, foxnews.com et bbc.com. De manière similaire, et concernant ici l’actualité sur Gaza, on observe une récurrence de mêmes médias sélectionnés par ChatGPT. Figurent dans le top 5 des sources étasuniennes : cnn.com, apnews.com, nytimes.com, npr.org et democracynow.org. Cette IA générative propose donc à la consultation des médias qui sont déjà privilégiés par Google Actualités alors même qu’un nombre très important de médias outre-Atlantique traitent aussi de l’actualité à Gaza.

Le constat est identique pour ce qui concerne la sélection des titres français. Notre enquête atteste, là aussi, d’une récurrence de certains titres appartenant à des grands groupes de presse. Dans le top 5 figurent lemonde.fr (Groupe Le Monde), bfmtv.com (groupe CMA CGM), ladepêche.fr (Groupe La Dépêche du Midi), lefigaro.fr (Groupe Figaro dans le groupe Dassault), 20minutes.fr (Schibsted Media Group et groupe Sipa Ouest-France). Et, comme pour les titres américains les mieux référencés par Chat GPT, les titres français font partie de ceux qui ont les scores de référencement les plus élevés sur Google Actualités.

Domination anglo-saxonne

L’un des éléments les plus marquants de l’étude concerne l’origine géographique des sources utilisées par ChatGPT puisque 40,5 % des médias sélectionnés sont américains et anglais. Quand elles sont référencées, les agences internationales de presse sont soit américaine (AP), soit anglaise (Reuters). L’AFP et les agences multilingues issues d’autres origines géographiques n’apparaissent pas dans la liste de sources, à l’exception de l’agence palestinienne (Wafa) mais de manière extrêmement marginale (1 %).

Ces observations convergent avec celles d’une étude menée au début des années 2000 aux États-Unis montrant que, dans le domaine de l’actualité internationale, les agrégateurs (Google Actualités et Yahoo news) sélectionnaient surtout des publications directement ou indirectement issues des agences américaines et anglaises. De ce point de vue, ChatGPT perpétue la domination des industries de l’information anglo-saxonne sur le marché de l’information internationale. Plus encore, la part très importante de publications issues de ces industries et proposées à un public français atteste du renforcement de cette logique.

Les médias israéliens sont quatre fois plus visibles que les palestiniens

Alors que l’IA générative a accès à une multitude des médias en ligne provenant de toutes les parties du globe, avec la capacité de les traduire pour les traiter, la sélection est faite sur un ensemble assez concentré de sources. Ce fait marquant révèle le pouvoir de ségrégation des agrégateurs. À l’exception d’Al Jazeera qui est très fréquemment sélectionnée pour sa couverture de Gaza, les médias panarabes multilingues sont quasiment invisibles. Pourtant, ils publient en ligne quotidiennement des articles sur le conflit en cours dans la bande de Gaza. À ce titre, la proportion de médias israéliens et palestiniens sélectionnés interroge aussi la distribution de la couverture du conflit. Les premiers, en effet, sont quatre fois plus visibles que les seconds.

Certaines représentations médiatiques locales et régionales, portant leur vision et interprétation du monde, sont sous-représentées, voire inexistantes. De ce point de vue, en considérant les résultats de cette enquête limitée à Gaza, le pouvoir tant célébré aujourd’hui de l’IA perpétue la domination des grands acteurs de l’information internationale à mesure qu’il dégrade la découvrabilité des médias nationaux.

O K

Olivier Koch

Maître de conférences et chercheur

Article publié le 24 septembre 2025 par La Revue des Médias