Les actions des Soulèvements de la Terre ont suscité un énorme contre-feux médiatique. Les journaux de droite ont multiplié les prises de position contre les écologistes, préparant les esprits à leur répression.
« Écoterrorisme », « saccages », « ultraviolents », et même « guerre civile »… ils ne parlent plus que de ça. Depuis que le ministère de l’Intérieur a annoncé la prochaine dissolution du mouvement des Soulèvements de la Terre (SLT), et formulé la promesse d’une « France sans zad », certains journaux de presse nationale ont multiplié sur leurs sites internet des articles visant à décrédibiliser le collectif écologiste.
Depuis les manifestations contre les mégabassines fin octobre 2022, ces médias appartenant à des puissances financières travaillent à criminaliser des militants écologistes et les pratiques des Soulèvements de la Terre (SLT).
Un État qui durcit son discours
L’attaque accompagne le durcissement du discours de l’État sur « l’écoterrorisme ». « Depuis Sainte-Soline, le ministère de l’Intérieur — puisque c’est vraiment Gérald Darmanin qui était le premier à utiliser le mot “écoterroriste” — construit un antagonisme. D’un côté, il y aurait les méchants écolos, des terroristes qui détruisent tout, et de l’autre, la voix de la raison qui essaierait de traiter le changement climatique avec objectivité, rationalité, et distance », juge Albin Wagener, enseignant chercheur, spécialiste du discours climatique et auteur du livre Blablabla : en finir avec le bavardage climatique (éd. Le Robert).
Analysons la façon dont la presse a couvert la mobilisation à Sainte-Soline. Si Le Monde ou Libération ont médiatisé les violences policières et révélé l’enregistrement des secours publiés par la Ligue des droits de l’Homme, la presse la plus à droite s’est acharnée à dénoncer une « manipulation » de l’opinion publique, multipliant les papiers d’opinion.
« On a presque l’impression que Sainte-Soline a été une fabrique volontaire pour construire l’ennemi écoterroriste, générant des images qui devaient se charger de montrer que les écolos radicaux sont des dangers publics, pour l’État et pour la démocratie », commente Albin Wagener.
Même lorsque les journaux prétendent publier des reportages ou décryptages dans les rubriques Société ou Environnement, leurs titres surenchérissent de formules moralisatrices : « Sabotage, nature queer et anticapitalisme, le bréviaire délirant des SLT », « Terres saccagées à Nantes : Les “Soulèvements de la Terre”, c’est la Nupes des mouvements écolos » ; « Saccages agricoles : plus facile de “soulever la terre” que de savoir la travailler ! »…
Surabondance péjorative
Dans les pages du Point [*], la journaliste Géraldine Woessner n’hésite pas à raconter en détail le déroulé de cette action contre le maraîchage industriel menée par les Soulèvements, qui s’est déroulée à Saint-Colomban (Nantes) le 11 juin. Elle décrit l’action au présent, comme si elle avait été sur place, alors qu’elle n’y était pas. Cela ne l’empêche pas de décrire les faits et gestes des militants, sans citer ses sources. Elle abreuve son texte d’images de désolation, mises en exergue dès les premiers mots : « Rangée de salades saccagées, serres éventrées, plants de muguets arrachés ».
La surabondance de descriptions péjoratives pour décrire les actions des militants s’accompagne d’une absence totale de contradictoire. Dans l’article de Géraldine Woessner, pas de mise en contexte sur l’action, hormis la citation de quelques phrases du communiqué des SLT.
Dans les médias et sur les réseaux
Sa consœur qui travaille à L’Opinion [*], Emmanuelle Ducros, a multiplié les tweets injurieux et les éditos incendiaires aussi bien dans les colonnes de L’Opinion que sur les ondes d’Europe 1 [*]. La journaliste Pauline Pernot analyse cet acharnement dans un article publié sur le site indépendant Acrimed. Après 11 tweets vindicatifs d’affilée contre l’action du 11 juin des Soulèvements à Saint-Colomban, l’employée des journaux des milliardaires a surenchéri à l’occasion de la manifestation du Lyon-Turin ce samedi 17 juin en publiant pas moins de 29 tweets à leur encontre en moins de 24 h.
« Zinzin », « écolos autoproclamés »… Dans les articles d’opinion du Figaro et du Point, le ton est sarcastique. Souvent, le ou la journaliste cherche le détail qui permettrait de mettre en contradiction l’engagement des militants avec leurs actions. Comme insister sur le fait que des militants arrivent en voiture à une action pour l’écologie, où insinuer qu’ils ont agi impulsivement, sans objectif.
« Les discours à propos des ennemis politiques sont toujours construits pour les dépeindre comme des écervelés, uniquement animés par les émotions. Et qui sont imprévisibles, donc dangereux », observe Albin Wagener.
Diabolisés, les soutiens des SLT sont décrits avec des qualificatifs donnant à croire qu’ils sont brutaux. Selon Géraldine Woessner, ils « vocifèrent » et « se ruent » sur les cultures de Saint-Colomban. De son côté, Emmanuelle Ducros stigmatise « les saccageurs de culture » dans sa chronique au lendemain de l’action de Saint-Colomban.
Le choix de ce mot n’est pas anodin. « Saccages » et « saccageurs » sont repris dans plusieurs titres du Point et du Figaro [*] pour évoquer la manifestation des SLT. Un terme originellement utilisé par les Républicains, notamment Éric Ciotti, pour qualifier l’action contre le maraîchage industriel, et aussitôt repris par les journaux les plus à droite.
« L’écologie est en train de traverser toutes les couches de la société »
« Des militants qui ont moins le souci de sauver la planète que l’obsession de renverser le capitalisme, et ne souhaitent pas l’écologie mais la révolution. » Dans sa critique du livre On ne dissout pas un soulèvement. 40 voix pour les Soulèvements de la Terre (Le Seuil), Eugénie Bastié, chroniqueuse au Figaro, tente de faire croire que l’anticapitalisme serait contraire à l’engagement écologiste.
Pour Albin Wagener, SLT est désigné comme « l’ennemi public numéro un de l’État ». Un choix politique. « Quand vous désignez les autres acteurs de l’écologie comme des gens dangereux, sans cervelle, trop sensibles, colériques, vous vous présentez en opposition comme un acteur sérieux. Et donc vous faites de l’écologie votre propriété », analyse le linguiste.
Paradoxalement, le chercheur voit comme un signe positif la part grandissante accordée à l’écologie dans les rédactions, même lorsque celle-ci se fait au détriment d’un traitement de qualité : « Le fait qu’on considère l’écologie radicale comme un ennemi, ça montre aussi que l’écologie est en train de traverser toutes les couches de la société et tous les domaines professionnels. Ça montre que tout le monde veut s’en emparer. » Sauf que dans ce cas de figure, les plumitifs des milliardaires alimentent et justifient par avance la répression du mouvement écologiste.
Par Aude Cazorla pour Reporterre
Publié le 21 juin 2023 – https://reporterre.net/Comment-la-presse-de-droite-construit-l-ennemi-ecolo