Chères toutes, chers tous, Alors que l’extrême droite avance ses pions au sein de grandes rédactions nationales, l’indépendance des médias apparaît, plus que jamais, comme un bien public précieux qui justifie la mobilisation des citoyen·nes, des journalistes comme des pouvoirs publics. À La Déferlante, une levée de fonds participative est en cours qui permettra à notre revue de peser davantage dans l’opinion tout en préservant l’indépendance de sa ligne éditoriale. Cela ressemble au scénario catastrophe d’une série d’anticipation : un directeur de la rédaction d’un magazine d’actualités condamné pour injure publique à caractère raciste nommé à la tête d’un hebdomadaire de référence par un patron de presse jugeant nécessaire de « s’adapter » à un « monde qui va changer ». C’est pourtant bien ce qui s’est passé le 23 juin 2023 au Journal du dimanche (JDD), où Geoffroy Lejeune, tout juste débarqué de Valeurs actuelles en raison d’une ligne éditoriale trop marquée à l’extrême droite, vient de se voir confier les rênes de la rédaction par Arnaud Lagardère. Le patron du groupe éponyme a beau clamer que ce choix « d’un ami proche, jeune, qui connaît le numérique » n’est pas « idéologique mais économique », le soupçon d’une intervention très politique pèse de tout son poids sur Vincent Bolloré, nouveau propriétaire du groupe Lagardère. Proche d’Éric Zemmour, l’homme d’affaires milliardaire a déjà transformé CNews en caisse de résonance des discours d’extrême droite et mis au pas la rédaction d’Europe 1. Devenez actionnaires de notre société des lecteur·ices Plus de 700 personnes ont déjà annoncé vouloir rejoindre la société des lecteur·ices de La Déferlante. Crédit photo: Léo Vignocan pour La Déferlante Le 22 juin, comme les journalistes d’i-Télé (future CNews) en leur temps, la rédaction du JDD s’est mise en grève pour tenter de faire échouer une nomination « en totale contradiction [avec les valeurs] du journal ». « La liberté de la presse n’est pas un débat entre journalistes » Cette tragédie démocratique est le résultat de nombreuses années de concentration des médias français au sein d’une dizaine de grands groupes. Mais également la conséquence directe du manque de volonté politique de limiter le pouvoir de ces industriels sur des journaux qu’ils possèdent. De nombreuses rédactions se retrouvent aujourd’hui sous la coupe d’hommes d’affaires en capacité d’imposer leurs intérêts jusque dans leurs pages ou sur leurs antennes. Or, « refuser aux journalistes le droit d’accepter ou non la nomination de celles et ceux qui les dirigent fragilise la production et le traitement de l’information », explique Charlotte Clavreul, directrice du Fonds pour une presse libre (FPL). Dans un article publié sur son site en juin 2023, le FPL insiste : « La liberté de la presse n’est pas un débat professionnel entre journalistes. Elle concerne d’abord les citoyennes et les citoyens, le respect de leur droit de savoir, leur capacité à forger connaissances et opinions. » ANNIE ERNAUX, MONA CHOLLET, VANESSA SPRINGORA ET PÉNÉLOPE BAGIEU AU CAPITAL DE LA DÉFERLANTE La nomination de Geoffroy Lejeune au JDD intervient au moment où, à La Déferlante, nous nous apprêtons à concrétiser notre levée de fonds. Cet évènement nous rappelle que l’indépendance des médias ne peut pas être qu’un vœu pieux. Elle se construit pierre après pierre, grâce à la mise en place de modes de gouvernance démocratiques. « Ce qui garantit l’indépendance d’un titre, c’est d’abord le fait qu’il appartienne en majorité à ses journalistes. Bien sûr, c’est plus simple si le reste des actionnaires ne possède pas d’intérêts commerciaux ou politiques qui puissent concurrencer sa ligne éditoriale » souligne Benoit Huet, avocat en droit de la presse (qui conseille actuellement notre média) et auteur avec Julia Cagé de L’information est un bien public (Seuil, 2021). Tous deux tentent actuellement de faire passer une proposition de loi renforçant cette indépendance : pour être éligible aux aides à la presse ou à l’attribution d’une fréquence audiovisuelle, un média devrait garantir que la nomination du directeur ou de la directrice de la rédaction soit agréée à la majorité des deux tiers des votant·es par l’ensemble des journalistes, avec un taux de participation d’au moins 50 %. À La Déferlante, nous avons fait le choix de ne pas solliciter les investisseurs qu’on retrouve un peu partout dans les grands groupes de presse mais de créer une société des lecteur·ices, dont celles et ceux qui nous soutiennent pourront devenir actionnaires. Vous êtes déjà près de 700 à avoir répondu présent·es à notre appel à investissement. On ne pouvait rêver de mouvement plus collectif et inclusif pour s’engager à nos côtés et nous accompagner. Financer davantage d’enquêtes À l’issue de cette collecte, nous quatre, journalistes cofondatrices, conserverons environ 75 % des parts du capital social de notre média. La Société des lecteur·ices en détiendra environ 15 %. Les 10 % restants seront détenus par des particulier·es, soutiens de la première heure de La Déferlante – parmi lesquelles la Prix Nobel de littérature Annie Ernaux, l’essayiste Mona Cholet, l’autrice et éditrice Vanessa Springora et l’illustratrice Pénélope Bagieu – ainsi que Mediapart, qui s’illustre depuis plusieurs années dans l’aide aux médias indépendants. Notre besoin en financement s’élève à 800 000 euros : la moitié de cette somme est déjà financée par des prêts et une subvention importante du ministère de la Culture. L’argent récolté nous permettra de développer notre activité et de proposer, en riposte à la montée des thèses d’extrême droite, des articles de fond, réalisés dans le strict respect de la déontologie journalistique. Un travail d’autant plus nécessaire et urgent que, dans le camp réactionnaire, la conquête des médias a déjà commencé, à grand renfort d’éditoriaux alarmistes et de fake news. Il nous faut donc financer davantage d’enquêtes de terrain et de reportages, mais aussi développer notre maison d’édition pour publier des livres qui questionnent le monde et contribuent à son changement. Jusqu’à la fin juillet, vous pouvez devenir actionnaires de notre société des lecteur·ices à partir de 100 euros et ainsi participer au rayonnement de La Déferlante. À distance des scénarios cauchemardesques que livre l’actualité et à l’opposé des paniques morales répandues par certains médias, nous voulons, avec vous, proposer d’autres récits sur le monde, imaginer une société plus juste et donc plus féministe. Par Marie Barbier, Lucie Geffroy, Emmanuelle Josse et Marion Pillas, cofondatrices de La Déferlante. |