Lancé il y a onze mois par l’Elysée, ce grand chantier sur le droit à l’information a pris fin le 12 septembre. Résultat : quinze timides propositions du « comité de pilotage », souvent éloignées des rapports des groupes de travail beaucoup plus intéressants. Cette volonté de ne bousculer ni les pouvoirs politiques ni les oligarques des grands médias privés laisse peu de place à la défense d’un journalisme indépendant.
« Caramba, encore raté ! », pourrait-on s’exclamer à la lecture du long rapport (351 pages, à lire ici) de conclusion des Etats généraux de l’information (EGI), rendu public jeudi 12 septembre. Ce n’est pas vraiment une surprise. Dès le lancement, le 3 octobre 2023, de cette grande machinerie conçue à l’Elysée pour faire mine de répondre aux conflits qui se sont multipliés dans la presse ces dernières années, le Fonds pour une presse libre avait fait part de ses critiques : sur la méthode (le bon vouloir de l’Elysée), le périmètre (trop large) et le calendrier (trop long). Un énième grand débat pour ne pas répondre aux urgences…
Dans la foulée, le FPL organisait les Etats généraux de la presse indépendante auxquels allaient participer plus de cent médias et organisations. Résultat : un relevé de « 59 propositions pour libérer l’info » présenté le 30 novembre 2023 (il est à lire ici). Huit semaines de travail intense, 3.000 euros de budget, et une quinzaine de réunions publiques à Paris et dans les grandes villes en régions. « La société doit s’emparer de ce débat sur l’information tant sont en jeu la qualité de notre débat public et la vitalité de notre démocratie », écrivions-nous alors.
Il aura fallu aux Etats généraux présidentiels de l’information onze mois de travaux, trois millions d’euros de budget, une petite consultation citoyenne, un tour de France à la rencontre d’assistances clairsemées et cinq groupes de travail pour boucler son grand œuvre. Le résultat ne devrait pas contrarier le pouvoir politique et encore moins les sept oligarques-industriels-milliardaires qui contrôlent désormais l’essentiel des grands médias privés.
En revanche, il ne peut que décevoir celles et ceux qui ont participé aux Etats généraux de la presse indépendante et beaucoup l’ont fait savoir avec des mots plus ou moins cruels (« Du vent, du vent, trop de vent, ça fatigue », par exemple) aussitôt après la présentation du rapport, jeudi.
Car la surprise principale provient de la timidité des quinze propositions finalement retenues par le « comité de pilotage » de ces EGI, instance politique pourrait-on dire, présidée depuis le 1er janvier par Bruno Patino, président d’Arte. Or, les rapports et les 250 propositions des cinq groupes de travail -heureusement également publiées- se révèlent bien souvent autrement plus intéressantes que la note de synthèse grisâtre du « comité de pilotage ». Il en est bien souvent ainsi dans les rapports officiels : c’est la fin et les annexes qu’il faut lire !
« Des propositions peuvent sembler banales ou tomber sous le sens, pourtant chacune change la donne. Cet ensemble redessine le paysage global de l’information et regardez le tout, il est sacrément ambitieux », s’est défendu Bruno Patino. Ah bon ?
Passons vite sur les angles morts du rapport, ces sujets qui ne sont bizarrement pas même évoqués alors qu’ils structurent lourdement le paysage de l’information : rien donc sur le service public de l’information aujourd’hui menacé dans son financement et son organisation ; rien sur les aides financières de l’Etat et des collectivités locales à la presse, un système largement dévoyé au bénéfice des plus grands groupes ; rien sur les situations de monopole de la presse régionale qui menacent l’information locale.
Et venons-en tout de même, pour ne pas complètement désespérer, à quelques nouvelles encourageantes, qui recoupent plusieurs propositions faites par les Etats généraux de l’information :
Enfin, est reconnue la nécessité de renforcer le secret des sources, condition même d’un journalisme indépendant. Comme l’explique le rapport, la loi de 2010 ne précise pas le périmètre de « l’impératif prépondérant public » qui peut être invoqué pour lever ce secret. La proposition des EGI demande donc que ce périmètre soit clairement défini et restreint au maximum. Et elle reprend la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la nécessité de prévoir l’intervention préalable d’un juge. En revanche, rien n’est dit sur une meilleure protection des lanceurs d’alerte.
De même, le comité de pilotage propose de légiférer contre les procédures-bâillons qui consistent « à entraver l’action des journalistes » par des poursuites répétées et manifestement infondées. Une directive européenne a été adoptée en ce sens, mais reste très limitée, et sa transposition dans le droit français avant 2026 devrait être l’occasion d’en durcir les termes.
Autre avancée : lutter contre la concentration des médias pour « assurer le pluralisme ». La loi de 1986 est reconnue totalement obsolète. La proposition des EGI s’inspire de plusieurs exemples étrangers (Allemagne, Royaume Uni). Il s’agit de définir le « pouvoir d’influence » global d’un groupe plurimédias c’est-à-dire sa capacité à atteindre lecteurs, auditeurs, spectateurs et de définir un seuil unique (il est de 30% en Allemagne) que les grands groupes médias ne pourraient pas dépasser.
Cette mesure d’audience globale, incluant sites internet et réseaux sociaux, reste à construire mais c’est une piste régulièrement proposée ces dernières années. En revanche, les EGI se gardent bien de préciser quel serait ce seuil unique (10%, 20%, 30% ?) et renvoient la décision aux législateurs.
Enfin, dernière avancée formulée par les propositions du « comité de pilotage » : « Instaurer la transparence et un pluralisme effectif des algorithmes » utilisés par les grandes plateformes numériques. « Les algorithmes ont pris le pouvoir et il faut le leur reprendre », note le rapport. Les plateformes sont aujourd’hui, et de loin, les principaux diffuseurs de l’information. Par leurs algorithmes, elles peuvent choisir d’invisibiliser certains médias, de surexposer d’autres. « Elles proposent aux lecteurs, en toute opacité, une priorisation de leurs contenus, il s’agit d’une éditorialisation de fait de ces contenus ».
Il s’agit donc de contraindre les plateformes à afficher de manière équitable tous les contenus d’information pour faire vivre un pluralisme effectif. Il s’agit ensuite de proposer aux utilisateurs de pouvoir choisir d’autres algorithmes en forçant les plateformes à ouvrir leur « capot » en autorisant d’autres acteurs à y proposer des outils algorithmiques différents. Différentes régulations européennes sont en cours sur ces sujets et doivent être poussées pour ne pas laisser les pleins pouvoirs aux grandes plateformes.
Voilà donc pour les quatre avancées proposées par les EGI. Car pour le reste, les demandes formulées par les syndicats et collectifs de journalistes comme par les Etats généraux de la presse indépendante ont été écartées. Le droit d’agrément des rédactions sur la nomination de leur rédaction en chef ou direction de l’information ? Rejeté. Seule une « information préalable » de la rédaction par l’actionnaire est proposée.
Pas question de bouleverser la gouvernance des entreprises de presse. Le « comité de pilotage » veut prolonger la loi Bloche de 2016, dont l’inefficacité a récemment été pointée par une mission parlementaire, en généralisant les comités d’éthique, les chartes de déontologie et en proposant la nomination d’un administrateur indépendant en charge de ces questions…
De même, rien n’est retenu des nombreuses propositions sur la nécessité de faire la transparence sur les actionnaires des entreprises de presse, sur leurs comptes, sur les aides publiques et privées perçues. Rien non plus sur une réforme de la loi sur le secret des affaires, texte utilisé pour poursuivre les journalistes devant des tribunaux de commerce. Rien non plus sur un élargissement des droits d’accès aux documents administratifs ainsi que sur une redéfinition du secret-défense en prévenant clairement son utilisation contre les journalistes.
Au final, les autres propositions du « comité de pilotage » visent d’abord à satisfaire les grands groupes de presse en leur apportant des ressources nouvelles. De deux façons : d’abord en demandant à l’Etat et aux annonceurs de réorienter leurs dépenses publicitaires vers la presse d’information ; ensuite en taxant les grandes plateformes numériques par une « contribution obligatoire » liée à leurs revenus publicitaires. Ces vieilles demandes des fédérations patronales de presse, dont le lobbying a été intensif, ont été entendues.
Et maintenant ? Maintenant rien. La crise politique actuelle empêchera très probablement le pouvoir exécutif et le Parlement de se saisir de toute réforme du paysage de l’information. Et si c’était le cas, c’est d’abord le dossier de la fusion de l’audiovisuel public (France Télévisions et Radio France) qui reviendrait au premier plan. Il a été farouchement défendu ces derniers mois par le camp présidentiel, la droite LR et soutenu par l’extrême-droite. Un projet qui a déjà provoqué deux jours de grève à Radio-France, début juin, et qui est rejeté par toutes les rédactions de l’audiovisuel public.
Le rapport des EGI va donc rejoindre les étagères, comme tant d’autres avant lui. Bruno Patino a souhaité la mise en place « d’un comité de suivi », tout en reconnaissant qu’il reviendra à l’Elysée ou au ministère de la culture d’en décider. Une fois de plus, l’occasion est manquée.
François Bonnet, président du FPL