La restitution des États généraux de l’information [1], lancés il y a neuf mois, a eu lieu le 12 septembre. « Cinq groupes de travail rassemblant une cinquantaine de personnes ont œuvré à un ensemble de propositions sur des thèmes précis. 22 assemblées citoyennes et évènements organisés en région, 174 auditions, 76 contributions […] la mobilisation a été exceptionnelle », vante le rapport. Mais les quinze propositions retenues par le comité de pilotage ne font pas illusion. Tout ça pour ça ?
Le rapport de 350 pages (auquel il faut ajouter les 130 pages de la « contribution citoyenne ») accumule constats, propositions, et autres « scénarios » pour 2050. Mais derrière les grandes envolées lyriques – le rapport est intitulé « Protéger et développer le droit à l’information : une urgence démocratique » –, c’est le grand gloubi-boulga. On y trouvera certes à boire et à manger, mais on est loin, par exemple, des contre-propositions formulées fin 2023 par les États généraux de la presse indépendante, dont Acrimed était partie prenante. De ce point de vue, la prise de position du président du comité de pilotage, Bruno Patino, appelant à prendre en compte « la liberté d’entreprendre, car les actionnaires ou les entrepreneurs ont eux aussi leur liberté d’entreprendre » (France Inter, 13/09), donne la mesure des ambitions réelles du projet.
Les syndicats de journalistes voient d’ailleurs dans certaines recommandations un manque « de clarté ou d’ambition : sans doute le résultat d’un compromis visant à satisfaire les patrons de presse » [2]. « Timidité » pour le Fonds pour une presse libre, « fadeur extrême » pour Mediapart : les 15 propositions ne recueillent pas les louanges, loin s’en faut. C’est que, comme l’explique Mediapart, « les propositions sont affaiblies par un écueil majeur : elles situent la menace quasi exclusivement du côté des algorithmes, des réseaux et de l’intelligence artificielle, autrement dit de la technique, omettant de désigner les vrais ennemis du droit de savoir, c’est-à-dire les acteurs politiques et économiques ».
Aussi, quand le rapport souligne que « plus d’un Français sur deux entretient une défiance au sujet des médias, et près de 60% d’entre eux considèrent que les médias ne sont pas indépendants des pressions politiques et de celles des actionnaires », le comité de pilotage n’en tire pas les conclusions et décide de ne pas retenir certaines propositions « plus contraignantes ». Résultat : à la trappe le droit d’agrément et le droit de révocation des journalistes sur le directeur ou la directrice de rédaction !
Certaines propositions semblent aller dans le bon sens, mais restent encore dans le flou. En matière de concentration, le rapport reconnaît le caractère obsolète de la loi de 1986 et appelle à une nouvelle régulation. Pour ce faire, il préconise la mise en place d’un « seuil unique » et plurimédia, sans toutefois en préciser la hauteur, puisque celui-ci resterait à définir (notamment sur la base du « pouvoir d’influence » des médias d’information, soit « leur capacité à atteindre les lecteurs, auditeurs et spectateurs »). De même, les velléités pour légiférer contre les procédures-bâillons, les réflexions pour un « pluralisme des algorithmes » ou celles pour un statut des entreprises de presse (auxquelles se verraient étendre la qualité de « société à mission ») laissent (vaguement) entrevoir des possibles.
Enfin, les propositions en matière d’éducation à l’esprit critique et aux médias à l’école, ou de « pre-bunking » (une « sensibilisation préventive […] à l’école, dans les universités, les entreprises et plus généralement les lieux permettant de toucher certains publics très exposés ») sont assez peu détaillées, et très centrées sur les questions de « désinformation » ou « d’influence étrangère ». Selon une conception dominante de l’éducation aux médias, l’intention est de rétablir la confiance envers les médias traditionnels, ceci donc sans véritablement remettre en question les logiques propres au champ journalistique qui produisent la mal-information…
En revanche, nombreuses sont les questions totalement éludées : rien n’est réellement envisagé pour repenser le système des aides à la presse [3], et le financement de l’audiovisuel public n’est même pas abordé ; rien non plus sur « la précarité et la paupérisation subies par des milliers de journalistes, notamment ceux rémunérés à la pige » (communiqué intersyndical, 12/09)…
Lors du lancement des États généraux, nous nous demandions s’il fallait s’attendre à un « programme ambitieux de transformation des médias ou [à un] écran de fumée ». On a la réponse.
Nils Solari – Acrimed 23 septembre 2024