Tout en partageant l’émotion suscitée par les agressions, parfois physiquement violentes, dont sont victimes des élus de la République, le Spiil alerte sur la réponse inadéquate et dangereuse pour la liberté d’informer, qui consiste à prolonger de 3 à 12 mois le délai des élus pour attaquer en diffamation.
La loi de 1881 sur la liberté de la presse assure l’équilibre entre la protection de la liberté d’informer, incluant le droit de critiquer l’action des responsables politiques, et la protection des personnes contre la diffamation. Une personne s’estimant diffamée ou insultée dispose d’un délai de 3 mois pour saisir la justice, ce qui constitue une période raisonnablement suffisante pour prendre connaissance du contenu supposé diffamant et exercer son recours.
D’ores et déjà, nombre d’éditeurs de presse subissent des menaces ou des procédures en diffamation de la part d’élus locaux en raison des enquêtes publiées. Régulièrement, des élus ne vont du reste pas jusqu’au bout de la procédure, alors que les éditeurs ont déjà mobilisé du temps et de l’argent pour organiser leur défense. Dans ce cas, ces procédures ne contribuent qu’à fragiliser les médias qui enquêtent. Les journalistes ne bénéficient, en effet, d’aucune protection fonctionnelle pour prendre en charge leurs frais de défense.
Dans ce contexte, la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, adoptée en procédure accélérée au Sénat en octobre 2023, puis à l’Assemblée nationale ce 7 février, introduit une disposition dangereuse pour la presse. En prolongeant de 3 mois à 1 an le délai des élus pour attaquer en diffamation, l’article 2 bis de cette loi, ajouté à la faveur d’un amendement au Sénat, augmente de manière disproportionnée le temps dont disposent les élus pour attaquer les journaux. Il augmente d’autant leur capacité à faire pression sur des journalistes qui enquêtent, sans doter en contrepartie les éditeurs de garanties supplémentaires pour se protéger contre des procédures abusives. Ce faisant, cette disposition déséquilibre dangereusement le compromis fragile de loi de 1881, déjà mis à mal, ces dernières années, par des lois d’exception, toujours votées sous le coup de l’émotion. Par ailleurs, cette mesure au seul bénéfice des responsables politiques ne peut que nourrir la défiance croissante des citoyens vis-à-vis des institutions démocratiques.
Le Spiil regrette qu’une telle disposition ait été ajoutée au texte initial sans aucune discussion avec les éditeurs de presse, quant à ses graves conséquences sur la liberté d’informer, et appelle à la retirer.
En plein milieu des États généraux de l’information, le vote d’une telle mesure représente une véritable provocation pour les éditeurs déjà extrêmement fragilisés par une judiciarisation excessive du débat. Entre la garde à vue de la journaliste de Disclose Ariane Lavrilleux, les procédures bâillons qui ont concerné Mediapart, Le Poulpe et Reflets ou encore la tentative d’intimidation de l’IGPN contre Streetpress, les exemples sont malheureusement nombreux.
Les enquêtes publiées par des éditeurs de presse et qui révèlent des faits utiles à l’intérêt général ne constituent ni une insulte, ni une atteinte à l’intégrité des responsables politiques. Il s’agit d’informations utiles à l’éclairage des citoyens et au bon fonctionnement démocratique.
Le Spiil partage pleinement les mises en garde formulées par le Syndicat des éditeurs de presse magazine (SEPM), Reporters sans Frontières ou encore le Syndicat national des journalistes (SNJ). Il demande le retrait de cette loi et rappelle son souhait de sanctuariser la liberté d’informer en l’inscrivant dans la Constitution.