Même si sa visibilité reste cantonnée à certains cercles, ce site de « réinformation » est un nœud actif de la galaxie identitaire. En empruntant les codes de la presse locale, il diffuse ses positions sur l’identité, l’immigration ou l’insécurité.
par Quentin Bonadé-Vernault – Publié le 04 juillet 2025
Un nom à consonance bretonne, accolé au symbole de l’hermine. Des rubriques « politique », « culture et patrimoine », « sport » ou encore « local ». Des articles sur la baisse du prix du gaz, le Tour de France ou les saints bretons… Breizh-info évoquerait presque un média d’information régionale. Lui-même se définit comme « un média indépendant traitant de l’actualité bretonne et internationale » qui aborde « tous (sic) les questions taboues avec franchise ». Quant à son design vieillot, il donnerait au lecteur pressé l’impression d’un site moribond. Il publie en réalité, en ce début du mois de juillet 2025, une dizaine d’articles par jour, et son audience tournait autour de 275 000 visites pour le mois de mai, selon Similarweb.
« Terrorisme intellectuel »
Plusieurs marqueurs témoignent d’un ancrage à l’extrême droite : la formulation de l’appel aux dons (« J’agis contre le terrorisme intellectuel »), mais surtout les sujets au centre de la ligne éditoriale du site : identité, immigration, insécurité, rejet des élites et du mouvement LGBT. On peut ainsi y lire des articles dénonçant « la dérive totalitaire d’un militantisme LGBT radicalisé » ou sur « La révolte silencieuse de milliers de patriotes », glorifiant les émeutes anti-immigration en Irlande. Breizh-info est aussi un lieu de communication pour des personnalités comme George Simion (candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle roumaine de 2025), plus souvent françaises comme la militante identitaire Thaïs d’Escufon (dont le business du coaching en masculinité a été critiqué sur le site dans une tribune), ou plus locales comme l’influenceur « Le Jarl ».
« On va se saisir de ces événements pour faire de la propagande »
Le traitement des faits divers est central dans la ligne éditoriale du titre. Crimes, agressions ou incivilités sont largement commentés lorsqu’ils impliquent des personnes immigrées ou issues des minorités. Comme tout récemment à Nantes, où un Algérien en situation irrégulière est mis en cause dans l’agression violente d’une femme dans le tram. Pour Benjamin Tainturier, doctorant au Medialab de Sciences Po et spécialiste de l’influence des discours de l’extrême droite sur le champ médiatique français, la logique est transparente : « On va se saisir de ces événements pour faire de la propagande, en prenant le particulier pour le général. »
« Valeurs Actuelles breton »
Le positionnement du site est assumé. Dès sa création, en 2013, les fondateurs de Breizh-info, Yann Vallerie, Philippe Le Grand, accompagnés d’une poigné de rédacteurs, revendiquent l’ambition de proposer un « Valeurs Actuelles breton », en contrepoint à ce qu’ils considèrent comme une presse régionale partiale, avec Ouest-France et Le Télégramme en ligne de mire. « Aucun journaliste n’est neutre, c’est hypocrite de le dire, mais encore faut-il afficher la couleur », affirme ainsi Yann Vallerie, le rédacteur en chef, qui décrit son média comme « généraliste, plutôt de droite, sans tabou ».
Yann Vallerie a appartenu à Jeune Bretagne (branche locale du Bloc identitaire). Sur Breizh-info, il se dit influencé par des auteurs comme Guillaume Faye ou Dominique Venner, figures de l’extrême droite intellectuelle. Il recommande aussi, tout en critiquant la « dédiabolisation » du RN, l’autobiographie de Jordan Bardella. Avec Philippe Le Grand, journaliste indépendant, il est poursuivi par Ouest-France pour diffamation et injures à caractère raciste — condamnés en première instance, ils ont été relaxés en appel ; le journaliste de Ouest-France concerné a formé un pourvoi en Cassation.
Breizh-info s’inscrit dans une logique militante : celle de la « réinformation », héritée des théories de Jean-Yves Le Gallou, connu pour avoir cofondé le Club de l’Horloge en 1974 et, en 2010, « Les Bobards d’or ». Selon Benjamin Tainturier, Breizh-info est « un média qui veut “réinformer”, c’est-à-dire corriger ce qu’il perçoit comme une information mensongère des grands médias ».
Opacité
On retrouve sur Breizh-info un autre procédé fréquent dans ce type de média : l’usage du pseudonyme, ce qui rend difficile toute vérification des sources ou des intentions éditoriales. Une vingtaine de contributeurs alimenteraient le site, selon son rédacteur en chef. Beaucoup de « citoyens », souvent retraités, parfois issus de la presse. Mais aussi des acteurs connus du milieu, tels qu’Audrey D’Aguanno (Boulevard Voltaire, Il Primato Nazionale) ou encore Nicolas Faure, ancien rédacteur (Sunrise, Salon Beige, Polémia, TV Libertés). Yann Vallerie nous dit collaborer aussi à d’autres médias (anglophones) qu’il ne souhaite pas nommer. Trois des auteurs de Breizh-info travailleraient à temps plein, dont un posséderait une carte de presse. Pour Benjamin Tainturier, l’opacité sur l’identité réelle des auteurs est « classique » dans la sphère de la « réinformation », en raison de la « distance qui est prise vis-à-vis du journalisme professionnel ».
La question a pris une résonance particulière en février 2025. Sur Next, le journaliste Jean-Marc Manach a en effet relevé des cas de plagiats « probablement […] générés par IA » — Yann Vallerie conteste le plagiat, mais assume l’utilisation de l’IA en « relecture » ou en « création d’images ».
Le plus important des locaux identitaires
Le média dépend principalement des dons, en plus de revenus publicitaires. Une stratégie qui peut répondre à une fragilité économique du site, hébergé en Lituanie chez un sous-traitant d’une entreprise américaine. En 2022, Google a en effet exclu Breizh-info de son programme Adsense, entraînant une perte que le média estime à plus de 10 000 euros par an.
Parmi les sites « locaux » de « réinformation » que présentait Le Monde en 2016, Breizh-info est celui qui a le mieux réussi. La moitié de ceux alors recensés ont disparu et, parmi les subsistants, il est celui qui, selon Similarweb, réunit de loin la plus grosse audience. Bien inférieure à celle d’un Boulevard Voltaire (1,6 million de visites en mai selon Similarweb), elle suffit toutefois à en faire un nœud actif de la galaxie identitaire. Sa visibilité reste toutefois cantonnée à certains cercles : « Tous ces médias se citent énormément entre eux, mais ils sont très peu repris par des journaux comme Le Monde ou Le Figaro », indique Benjamin Tainturier.
Quand ses rédacteurs n’y écrivent pas, le site est fréquemment repris par des médias de la même mouvance (aussi appelée « fachosphère »), comme TV-Libertés, Boulevard Voltaire ou Polémia, mais aussi Causeur, L’Incorrect ou Sud Radio.
« La police leur file des renseignements »
Dans le paysage médiatique breton, la réputation de Breizh-info est connue. Et tous les journalistes interrogés tiennent à minimiser l’impact du média au sein de la péninsule. Malgré cela, de rares journalistes locaux acceptent l’invitation, à l’image de Samuel Nohra (Ouest-France), interviewé en octobre 2024 à l’occasion de la parution de son livre Roazhon Bac. Et selon Jean-Christophe Collet, journaliste à Rennes Info Autrement, la qualité de certaines informations de Breizh-info laisse supposer des relais : « Ils sont parfois mieux informés que nous. Donc ça veut dire que la police leur file des renseignements, ou les avocats… »
En 2020, la plateforme de vérification NewsGuard classait Breizh-info parmi les principales sources de désinformation en France. Le Monde, le collectif Les Débunkers, la journaliste Aude Favre (WTFake), ou encore Le Peuple Breton ont, ces dernières années, multiplié les critiques à son égard, pointant les titres trompeurs, l’absence de sources fiables et une manipulation délibérée de l’information.