Par leur nature même, les fanzines sont des objets dont la place en bibliothèque pose question. Depuis sa première utilisation, désignant des magazines publiés hors des circuits de distribution par des fans pour parler de leur passion, le terme n’a cessé d’évoluer, ayant aujourd’hui quasiment autant de sens que d’usagers. À ce titre, il ne faut pas s’étonner que, dans un des rares articles définitionnels sur le sujet, le chercheur Frédéric Gai ait ressenti le besoin de titrer son papier « Tentatives (désespérées) pour définir le fanzine » 1. Avec cet aveu d’échec introductif, il peut ensuite se permettre de décrire de nombreux types de fanzines, constatant que ni le genre, ni le sujet, ni la technique d’impression n’a la moindre importance sur le sens même de l’objet, mais qu’il s’y trouve toujours une grande agilité porteuse d’une volonté d’émancipation et d’affirmation depuis les marges. De son côté, l’auteur L. L. de Mars va plutôt placer le sens du fanzinat dans l’autonomie des moyens de reproduction, s’attachant à imprimer lui-même ses livres et à y apposer un artisanat pour tenter d’avoir l’indépendance la plus grande. Il trouve alors insensé d’appeler fanzine un objet où le fanzineux s’est contenté d’envoyer un PDF au reprographe. De mon côté, après un certain nombre de recherches, j’ai choisi de poser ma limite sur la question de la distribution, seule véritable rupture avec le reste de l’industrie alors que les moyens de reproduction qualitatifs sont toujours moins chers.

Fanzines et institutions

Si l’on peut débattre de la définition, il y a en revanche un consensus pour dire que le fanzine ne peut pas être distribué, ou uniquement de manière manuelle (dépôt ou achat direct) chez quelques libraires amis. Il n’y a pas de distributeurs officiels, ils existent essentiellement au sein de leurs cercles communautaires et on ne peut pas passer commande par des circuits traditionnels. Conséquence directe de cela : ils sont généralement absents du dépôt légal, la veille est particulièrement complexe et l’achat est difficile car il doit souvent passer en direct via les créateurs (chose que la comptabilité publique n’aime guère, d’autant que les fanzineux eux-mêmes n’ont pas toujours un statut permettant l’émission de facture).

À cet état de fait s’ajoute une origine contre-culturelle du fanzine, par nature pas forcément lié aux institutions, qui s’est en majorité émancipé au sein de « mauvais genres » mal reçus au départ chez les élites culturelles : polar, fantasy, SF, bande dessinée (BD), punk, techno, street art, manga, militantisme politique anarchiste, d’extrême gauche, antispécisme, etc. Dès lors, le milieu du fanzine a généré ses propres structures, avec des « distro-mobiles » (des personnes se déplacent de concerts en événements en amenant des valises de fanzines à vendre ou échanger), un circuit d’échange postal et des fanzinothèques, qui ne sont ni plus ni moins que des bibliothèques de fanzines, mais quasiment toujours associatives, voire sans statut officiel. Des structures plus ou moins professionnalisées émergent, la majorité soutenue par des bénévoles, parfois des personnes s’appuyant sur des aides sociales pour mener ces projets ou des contrats aidés tout aussi précaires. L’institutionnalisation possible est toutefois aussi regardée d’un air méfiant et il n’y a finalement que la Fanzinothèque de Poitiers qui a réussi à prendre une place réellement installée, existant depuis plus de trente ans et aux financements très largement publics, tout en n’ayant jamais été municipalisée. Ce contexte, particulier mais nécessaire à la vitalité du milieu, vient ajouter à la difficulté des bibliothèques classiques quand il s’agit d’acheter des fanzines : l’institution n’est pas leur milieu naturel.

De ce fait, il est assez logique de ne pas trouver beaucoup de fonds fanzines en bibliothèque en France, c’est même l’inverse qui est étonnant ! Alors que les fanzinothèques ont réalisé leurs deuxièmes rencontres à Poitiers en août 2022 et que la Bibliothèque nationale de France (BnF) a consacré à la Free press et aux fanzines une passionnante journée d’étude en octobre 2022 2, il m’a tout de même paru intéressant de me tourner vers les bibliothèques territoriales, a priori encore jamais vraiment interrogées sur cette question. Et si la présence est balbutiante, elle est réelle et donne des pistes intéressantes pour développer ces fonds.

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Figure 1. Extrait de « Fanzines et mémoire », dans Maël Rannou, Définir le fanzine, Laval, L’Égouttoir, 2022

Des signes encourageants

Plusieurs signaux positifs à l’ouverture de ma recherche sur les bibliothèques de proximité et les fanzines sont à souligner.

Une certaine existence de littérature, certes faible, mais réelle, sur ces sujets. La conservatrice des bibliothèques Émilie Mouquet a ainsi consacré en 2014 un mémoire au lien entre les bibliothèques et les fanzines 3 ; travail qu’elle a poursuivi par de ponctuelles recherches, dont un article plus général dans le Bulletin des bibliothèques de France 4. Longtemps resté un cas unique, ce travail a été rejoint en 2019 par le travail de Bachelor de Stéphanie Probst, étudiante en information documentaire à la Haute école de gestion de Genève. Si son mémoire 5 porte sur une collection suisse, qui plus est dans une bibliothèque de musée, il a le mérite d’être un des rares à sortir du champ uniquement associatif (voire militant) pour étudier les fanzines dans une bibliothèque institutionnelle.

Le champ n’est pas totalement vierge, et surtout, il semble s’enrichir. Ainsi, Lukas Courtault-Reymond de Broutelles a soutenu son mémoire de Master 1 en Patrimoines et Musées à l’Université Paris-1 Panthéon Sorbonne en 2022 6. Dans cet ambitieux travail de recherche, riche et documenté, il explore cependant uniquement le spectre des graphzines 7 et des bibliothèques patrimoniales. Un choix qui, s’il impose de consacrer une part importante de l’étude aux fonds de la BnF, permet aussi de se pencher sur ceux de la bibliothèque Forney à Paris, donc une bibliothèque territoriale. De manière plus anecdotique, on peut signaler un projet tuteuré de licence professionnelle en métiers du livre que j’ai dirigé en 2019, consacré aux Ateliers fanzines pour la jeunesse en bibliothèque 8, un axe de médiation important autour de ces objets mais qui ne parle donc pas des fonds. Enfin, des projets autour des fanzines existent à nouveau à l’IUT Rives de Seine ou à l’Enssib, montrant, si ce n’est une déferlante, qu’il existe au moins en engouement cet objet, dont les approches sont souvent multiples faute de pouvoir le saisir.

Des recherches en ligne montrent divers événements autour des fanzines dans des réseaux de médiathèques, comme celle de Bagnolet qui a animé des ateliers fanzines lors de son festival, à l’occasion d’un focus spécial sur le sujet en 2017. Plus largement, il existe en ligne des communautés cherchant à réfléchir sur le fanzine, et associant régulièrement des bibliothécaires. On peut ainsi signaler le projet académique AcaZine 9, porté par le Campus Condorcet et l’Université Paris-8, qui cherche à faire du fanzine un matériel de recherche et organise de régulières rencontres en ligne ou sur site. Ce projet, bien intégré dans le champ universitaire ou associatif, est toutefois peu lié à la sphère territoriale.

Plus informel, mais croisant de fait en bonne partie les mêmes acteurs, le groupe Facebook « Bibliozines » 10 a été créé il y a six ans et se veut plus spécifiquement dédié aux questions des bibliothécaires. Si le résultat ressemble à un fil général d’information sur les fanzines, il a le mérite d’exister et de montrer que des professionnels s’intéressent à ces questions.

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Figure 2. Le Centre de l’illustration de Strasbourg et ses graphzines (février 2023)

Une présence encore rare

Ce tour d’horizon correspond toutefois plus à des discussions centrées sur le fanzine en tant qu’objet atypique, ou sur des questions de médiations, que sur l’élaboration de fonds fanzines en tant que tels. Face à ce constat, j’ai souhaité interroger directement des bibliothèques territoriales identifiées comme ayant des fonds fanzines pour comparer leurs pratiques. Avant toute exploitation des résultats, il est nécessaire de poser quelques éléments :

  • il n’existe pas de liste des bibliothèques possédant des fanzines et certaines en ont sans doute sans même les appeler ainsi. Pour constituer la liste, je me suis fondé sur des connaissances personnelles et des appels à mon réseau (Bibliozines, appel public sur Twitter). L’appel public a permis de découvrir deux fonds supplémentaires, mais il n’y a pas de prétention d’exhaustivité ;
  • très peu de bibliothèques possèdent des fanzines dans leurs fonds. Le nombre est celui des fonds interrogés. Il renvoie donc d’abord à un témoignage et n’a pas de valeur statistique absolue ;
  • cette enquête est limitée à la France. Il serait sans nul doute intéressant de pouvoir comparer avec des structures étrangères francophones mais l’échantillon serait encore plus complexe à gérer. Cela pourra être une suite de ce travail. J’ai tout de même recueilli avec curiosité les réponses d’un fonds québécois, mais il n’est pas exploité ici 11.

Cette exploration a permis d’identifier la présence de fonds fanzines dans six bibliothèques municipales et intercommunales : la bibliothèque Forney (Paris), la bibliothèque de La Manufacture (Nantes), la médiathèque André-Malraux (Strasbourg), la bibliothèque des Champs-Libres (Rennes), la médiathèque François-Mitterrand (Poitiers) et la médiathèque Pierre-Fanlac (Périgueux). Il a été évoqué lors de rencontres la possibilité d’un fonds fanzines dans les bibliothèques de Bordeaux mais je n’ai pas pu creuser cet aspect. De prime abord, il est facile de constater qu’il s’agit majoritairement de structures de très grandes villes. Les quatre premières émargent dans les onze villes les plus peuplées de France (si nous comptons Bordeaux, elle est aussi dans cette zone), Poitiers est plus petite mais reste une commune relativement importante (plus de 8 000 habitants). Périgueux est certes une préfecture mais émarge sous les 30 000 habitants. Les grandes villes sont-elles plus à même de développer des collections fanzines ? C’est en partie vrai mais à nuancer, car ce ne sont jamais les réseaux entiers des bibliothèques qui portent ces fonds mais une des bibliothèques du réseau, ce qui correspond finalement à des bassins de vie de proches de ceux des bibliothèques de communes moyennes. Notons aussi la spécificité de la bibliothèque Forney, municipale mais à vocation patrimoniale et spécialisée en art.

L’origine des collections est diverse, souvent liée à la volonté d’un bibliothécaire, à des dons ou à une production ou une spécificité locales. Les itinéraires sont tous uniques, avec des fonds majoritairement spécialisés. Voici le détail de leurs origines et politiques d’acquisition :

  • Forney (Paris) : la médiathèque Marguerite-Duras, dans le même réseau, possédait un fonds fanzine, car elle accueillait un festival dédié. Souhaitant s’en séparer, elle a cédé son fonds Graphzines/BD à la bibliothèque Forney, spécialisé dans les arts graphiques, en cohérence avec sa ligne patrimoniale. Suite à cela un petit budget a été dédié, tout en incitant les fanzineux aux dons.
  • Manufacture (Nantes) : la médiathèque est très proche de « Maison Fumetti », association dédiée à la promotion de la BD, qui partage ses locaux. Elle accueille ainsi de nombreuses expositions et « co-porte » un festival du même nom, très centré sur les petits éditeurs et les fanzines. De manière assez cohérente, un fonds est proposé, limité à la BD et à l’illustration. Originellement né d’un don d’un bibliothécaire, le fonds est désormais enrichi par des acquisitions directes en festival et des dons.
  • André-Malraux (Strasbourg) : l’histoire de cette collection est particulière puisque la médiathèque accueille le Centre de l’illustration, créé en 2008 12. Dans ce fonds, un volet spécifique sur la microédition et le graphzine a été développé (élargi à la BD en 2011). En dehors de cette forme, il n’y a pas de sujet précis, si ce n’est une attention à la production locale, très dynamique (Arts décoratifs de Strasbourg, Association Central Vapeur). L’acquisition se fait principalement par achats, des dons étant autant reçus, notamment les archives complètes du duo d’artiste Gfeller + Hellsgard.
  • Champs-Libre (Rennes) : comme à Strasbourg, l’approche a été fortement pensée puisque c’est à l’issue d’un rapport de stage d’une collègue que l’entrée des fanzines dans les collections a été proposée et validée, en privilégiant la production locale, avec une intégration au fonds régional à partir de 2003. Il n’y a pas de genre privilégié, mais le choix géographique lui a tout de même donné une forte tonalité BD, secteur très important dans l’histoire du fanzinat rennais. Les acquisitions sont faites par achats.
  • François-Mitterrand (Poitiers) : l’origine exacte du fonds n’est pas connue mais est assez facile à lier à la Fanzinothèque qui se trouve dans la ville. Si le fonds n’est pas spécialisé, il est associé à l’Artothèque et bibliothèque de livres d’art, ce qui l’ancre fortement dans des propositions assez graphiques. Un petit budget du secteur documentaire est consacré à ce fonds.
  • Pierre-Fanlac (Périgueux) : ce fonds est le seul à être spécialisé en musique, suite à l’envie d’un discothécaire de mettre en valeur cette source documentaire importante pour le secteur, dès le début des années 1990. Cela ne concerne qu’une dizaine de titres, dont un seul est encore vivant et suivi. Le projet d’un dépôt important (plusieurs milliers d’exemplaires) de la part d’une association locale liée à la musique est en cours.

Ce tour d’horizon 13 confirme la dimension aléatoire de ces fonds, nés de volontés particulières et fortement liés aux contextes locaux. Il est également frappant de constater que quatre des six fonds sont officiellement spécialisés : trois sur l’image (pour englober largement leurs champs), un sur la musique. Même les deux bibliothèques non spécialisées s’avèrent, une fois leur fonds observé de manière globale, tout de même très portées vers l’image, qui est donc clairement la porte d’entrée de la majorité des fanzines en bibliothèque. Cela peut surprendre de ne pas voir, par exemple, plus de fanzines musicaux vu leur importance dans l’histoire du fanzinat. Cela s’explique par leur nature souvent plus périssable que dans le cas des fanzines graphiques, et qui a mieux survécu au déport du fanzinat sur le web. On peut aussi supposer que mes propres centres d’intérêt (très tournés sur la bande dessinée) ont fait ressortir particulièrement dans mes recherches des fonds déjà croisés. Il ne serait pas surprenant de trouver des fanzines dans des bibliothèques avec d’importants fonds de science-fiction par exemple, même si, comme la musique, le fanzinat dans ce domaine a décliné au XXIe siècle. Puisse cet article donner envie à des bibliothécaires proposant des fanzines de me signaler leurs fonds !

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Figure 3. Le meuble à fanzines de la bibliothèque de La Manufacture de Nantes (juin 2022)

Méditations et difficultés

Une fois les fonds identifiés, il reste à savoir comment ils vivent, la réponse la plus générale étant : difficilement. Les principales difficultés mentionnées ne sont cependant pas celles que j’avais supposées. La difficulté à acheter les fanzines, due notamment au fait qu’ils ne sont pas distribués, est assez peu évoquée, chaque structure ayant ses stratégies : possibilité d’achat direct, travail avec un libraire/disquaire connaissant ces fonds, travail en direct avec la Fanzinothèque à Poitiers (qui dispose d’un espace de vente, peut éditer des factures et pourrait faire office de centrale d’achat), etc. La question du catalogage ne semble poser de problème à personne. Selon l’objet, les grilles utilisées sont celles du périodique ou de la monographie, un mot-clef venant identifier ou non l’aspect fanzine de l’objet et des champs supplémentaires d’éventuelles spécificités techniques, notamment d’impression.

Sur ces sujets, un des premiers problèmes soulevés est la solitude face à ce fonds. Dans quasiment toutes les structures, une seule personne est en charge du fonds, parfois deux, et plusieurs se posent la question de la pérennité du fonds s’ils ou elles quittaient la structure. De manière un peu optimiste, on peut constater qu’au moins à Périgueux, Poitiers et Nantes, les fonds ont survécu à leurs créateurs. Mais le souvenir du fonds Fanzine de la bibliothèque Marguerite-Duras, soudainement retiré des collections après un changement d’équipe a pu laisser des traces. La formalisation de critères d’acquisition, d’espace et de médiation apparaît, sans grande surprise, comme un moyen d’assurer cette pérennité. Depuis les dernières universités d’été du fanzine 14, un groupe informel de fanzinothécaires associatifs (voire sans statut administratif) s’est réuni pour échanger sur leurs pratiques, avec notamment une liste de discussion, initiative aisément réplicable qui pourrait aider à briser la solitude des fanzinothécaires institutionnels.

L’autre grande difficulté soulignée est celle de la médiation. Si ces fonds ont quasiment tous des espaces identifiés, parfois dans des meubles mettant en avant une esthétique artisanale (Poitiers, Nantes…), il apparaît difficile de les faire vivre. Ainsi, l’absence de prêt est la norme. La bibliothèque François-Mitterrand envisage cette évolution, qui serait un vecteur potentiel de nouveaux publics tandis que les bibliothèques Forney et André-Malraux, dont la vocation patrimoniale exclut la possibilité de tout prêt, favorisent des valorisations par vitrines et expositions. De leur côté, les Champs Libres ont cessé la valorisation de fanzines pour les ranger en réserve. Après l’arrêt des acquisitions, une réflexion est en cours pour les remettre en circulation à côté des BD pour ceux qui s’en rapprochent, avec peut-être un meuble adapté. Mais le manque de temps et la spécificité du milieu demandant une veille particulièrement active repoussent le projet. Seule la bibliothèque nantaise pratique le prêt de tout son fonds 15, mais les rotations sont faibles. Malgré un meuble particulièrement visible (voir figure 3), le public passe devant sans s’y arrêter, voire n’ose pas l’ouvrir ou imaginer qu’il peut prendre les fanzines et les feuilleter. L’aspect fragile d’une partie de la production, qui impose une conservation hors étagère, peut parfois laisser penser qu’ils sont destinés uniquement à être exposés. La médiation autour de ce fonds apparaît là aussi nécessaire, les quelques événements prévus en 2020 ont été annulés par les confinements et n’ont jamais repris.

L’aspect original des fanzines en fait pourtant des outils intéressants s’ils sont accompagnés. Le Centre de l’illustration de Strasbourg a parfois posté des acquisitions ou des sélections sur son Tumblr 16, et a publié des bibliographies en PDF (sur le fanzine en général, le fanzine pour enfants, etc.). En termes d’appropriation numérique, outre la forte activité de Forney au sein de groupes cités en introduction (AcaZine, Bibliozines, etc.), en grande partie grâce à l’engagement personnel de la bibliothécaire, elle-même fanzineuse sous le nom de Cox, la médiathèque Pierre-Fanlac a numérisé quelques titres qui ont été mis en ligne sur le portail patrimonial de la ville de Périgueux 17. Il est étonnant de constater le faible nombre d’ateliers fanzines, une manière pourtant relativement simple de réaliser des médiations autour de cet objet, en manipulant du papier, avec seulement une photocopieuse. Ces médiations, réalisables avec un auteur mais aussi par les bibliothécaires avec un simple gabarit, sont un bon moyen d’impliquer les publics tout en parlant des fonds. Les bibliothèques de Rennes, qui n’exploitent pourtant plus leurs fonds, ont animé un atelier de ce type en mars 2022. Certaines bibliothèques réalisent des ateliers similaires bien que n’ayant pas de fonds dédié.

Les actions de médiation autour du fanzine semblent ainsi déconnectées des fonds, comme si le fanzine, par son statut d’objet rare, était par nature condamné à une « contre-patrimonialisation ». Or, les fanzines étaient d’abord des objets de communication, d’union communautaire, de dialogue et d’échange 18. Les restreindre à un rôle purement esthétique ou « objectifié », le « fanzine d’artiste » accentuant cette tendance, peut avoir un effet plus « formolisant » que muséifiant. Si les conserver dans des collections publiques est intéressant et souhaitable, l’idée d’animer et de faire vivre le débat autour de ces objets, que ce soit par des rencontres, des projections 19 ou des ateliers pratiques, paraît absolument nécessaire pour en conserver l’essence. Les expériences décrites montrent autant de pistes et de bonnes volontés que de chausse-trappes mais dessinent surtout un possible réseau pour structurer et développer une offre en bibliothèque, en résonance avec les écosystèmes locaux et leurs histoires.

Maël Rannou

Référence bibliographique

Maël RANNOU, « Fanzines et bibliothèques en France : une relation contradictoire », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 23 février 2023.
En ligne : https://bbf.enssib.fr/matieres-a-penser/fanzines-et-bibliotheques-en-france_71048