La fin de l’abondance ?

Rarement l’automne aura été aussi généreux sur les terres du Larzac. Des noix à foison, des amandes comme s’il en pleuvait, des pommes, des poires, des cèpes et bolets, des noisettes plein les poches et des oreillettes suspendues en guirlande dans les caves. Les réserves se remplissent, les paniers s’alourdissent, les champs de luzerne reverdissent et les celliers se garnissent de nourritures offertes gratuitement par une nature prodigieuse. Alors de quelle abondance parle le Président de la République ? Il s’agit seulement de s’entendre sur les mots. La fin de l’abondance est peut être la fin du gaspillage, la fin du pillage en règle des ressources limitées de la planète et le retour à une relation normale. Ne plus pouvoir remplir ces centaines de milliers de piscines privées qui ne servent que deux mois dans l’année, ne plus pouvoir faire des ronds dans la poussière à bord de bolides pétaradants, ne plus remplir ses caddies de denrées hyper transformées, inutiles et nocives (à quand la pénurie de coca cola ?) est-ce cela, la fin de l’abondance ?

La crise récente de l’approvisionnement en carburant montre notre grande fragilité. Cette hyper dépendance au pétrole et à la voiture est révélatrice de nos choix de société. Et les solutions pour résoudre cette crise le sont tout autant : prime à la pompe, réquisition, développement de l’électrique, autant de solutions à court terme qui vont à l’encontre du sens de l’Histoire climatique. Nous ne cessons de courir toujours plus vite dans le mur. Ne pas avoir anticipé ni préparé une véritable transformation de notre modèle de vie se paie au prix fort : forêts en flamme, rivière à sec, moral en berne, regards anxieux vers les cieux aux approches des nuages sombres et images sidérantes de montagnes dévastées pour quelques kilos de métaux stratégiques,…

Les chiffres sont têtus : les 1% les plus riches émettent deux fois plus de CO2 que les 50% les plus pauvres. Il ne faudrait pas que la nouvelle conversion du monde politique libérale à la si belle notion de « sobriété » cache de nouvelles politiques d’austérité. Les mots ne sont pas les mêmes. Les objectifs ne sont pas les mêmes et le dévoiement du sens est terrible. Cette parole manipulée et manipulatrice, pleine de cynisme et de mensonge, est dévastatrice. C’est une parole de cendre. Le chaos climatique, l’extinction du vivant, l’injustice sociale révoltante ne pourront se combattre avec ce genre de mot à peine reverdit. « There are no non-radical option left before us » (il n’y a plus de solutions non radicales) martèle Naomi Klein.

Il nous reste à réinventer l’avenir et c’est une option assez excitante en vérité. Entendre monter le « chant de l’aube » et saisir le souffle créateur d’un monde en devenir peut devenir un beau projet de vie. « C’est étrange finalement » concluait Bruno Latour « D’un côté on a l’impression de tout est joué, perdu, fini. D’un autre que rien n’a vraiment commencé« . Vraiment ?

Solveig Letort

GLL – le journal du larzac solidaire