C’est une sortie CinéMutins, un nouveau documentaire important qu’on nous a confié pour la France : Ithaka, le combat pour la libération d’Assange de Ben Lawrence. Ce film, tout récent, reprend le fil du calvaire de Julian Assange là où l’avait laissé Hacking Justice de Clara Lopez-Rubio et Juan Pancorbo, que nous avions sorti en 2021. Ce nouveau documentaire est moins axé sur la procédure juridique qui arrive un peu au bout de tous les recours et se concentre sur le combat du père de Julian Assange (John Shipton) et de son épouse (Stella Assange), un combat quotidien pour le tenir en vie, parcourir le monde à la recherche de soutiens pour essayer d’élargir le cercle encore.

Le film de Ben Lawrence est très émouvant. Au-delà même de cette terrible injustice que vivent Julian Assange et sa famille, ses enfants qui grandissent sans leur père, les épreuves quotidienne pour Stella et John qui courent un marathon épuisant et parfois désespérant, pointe l’énorme contradiction de notre démocratie occidentale : Qui est le criminel dans cette affaire ? Où en est-on de notre soumission pour accepter sans broncher un tel scandale ? Qui peut se prétendre journaliste sans défendre la cause d’Assange ?

John Shipton (le père de Julian), Stella Assange (son épouse) avec un de ses fils.

D’abord réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres puis dans une prison haute sécurité depuis quatre ans pour avoir publié la vérité, rien que la vérité, Julian Assange est le seul journaliste emprisonné pour ces révélations admises comme vraies (ce n’est pas leur vérité qui a été contestée mais le fait d’en d’informer les citoyens des horreurs qui était faites en leur nom et en secret). Julian Assange est le bouc émissaire, le Victor Jara a qui il faut briser les mains pour donner l’exemple, une nouvelle version de Prométhée comme le souligne son père. Julian Assange survit dans des conditions indignes pour tout humain, quoi qu’il ait d’ailleurs fait. L’injustice est ici flagrante et nous renvoie un terrible miroir de nos démocraties occidentales aux fondations tellement fragiles. Après avoir vu ce film, impossible de rester de marbre. Comment supporter une telle injustice ? Mais avant tout, on comprend ici comment fonctionne le pouvoir et la nécessité absolue de s’organiser collectivement.

La procédure interminable et la torture psychologique que subit Julian Assange dans sa cellule sont déjà une lourde peine, avant même l’extradition (et un procès aux Etats-Unis où le journaliste transformé en espion risque l’absurde peine de 175 ans de prison), ne réside aujourd’hui que dans une vraie mobilisation comme on en a vu par le passé pour quelqu’un comme Nelson Mandela. Mais les temps ont changés, les héros sont consommés et l’attention plus difficile à capter. Pourtant l’enjeu est énorme. L’affaire Assange constitue un précédent sur l’ensemble de la liberté de la presse en occident, et atteint peu à peu d’autres journalistes qui investiguent sur le pouvoir et les affaires, un récent exemple étant l’affaire Ariane Lavrilleux de Disclose interpellée par le DGSI en septembre dernier pour avoir fait son travail (en savoir plus)… Quand on comprend ce qu’il se passe avec l’affaire Assange, on comprend que tous les journalistes qui “portent la plume dans la plaie”, tout simplement ceux qui osent encore enquêter sur des affaires mettant en porte à faux les pouvoirs politiques, les intérêts des milliardaires qui possèdent les grands médias sont ou seront touchés. Mais ce glissement va bien au-delà d’un problème de journalisme. Le débat universitaire, la liberté de créer dans l’art et la culture, dans l’éducation et l’enseignement, l’usage qu’on fait d’Internet, quelles règles communes devons-nous adopter pour survivre à la révolution technologique qui a balayé toutes nos certitudes d’antan…

… finalement l’ensemble de la société est déjà très touché par des censures diverses, plus ou moins insidieuses et qui ne sont pas forcément médiatisées, souvent même totalement inconnues du public, au-delà des intéressés qui ne peuvent même pas communiquer au risque d’aggraver encore la situation en s’auto-désignant comme des “moutons noirs”. C’est un cercle vicieux. Les conséquences des censures d’une pensée rationnelle comme celle de Julian Assange et d’informations solides comme celles de WikiLeaks, entrainent paradoxalement des “délires complotistes” (“puisqu’ils sont capable d’agir comme ça contre la vérité, pourquoi ne pas douter de tout ?”). Seuls les travaux documentés et sérieux nous permettent de tenir le cap et de pas abandonner la contestation à une critique inopérante car fracturée collectivement et parasitée par des théories farfelues qui tiennent à distance des ralliements potentiels. L’enjeu est de taille… Modestement, les livres et les films contribuent à entretenir des contre-feux, à pousser “la fragile barque de la raison humaine qui flotte, de façon incertaine sur un océan de folie” comme disait le mathématicien et philosophe, activiste pacifiste, Bertrand Russell.

Nous avons constaté que le travail de fond de Stella Assange, John Shipton et leurs soutiens, peu à peu, agrègent des cercles de plus en plus larges. En France, des politiques, journalistes, influenceurs, sont de plus en plus au courant de l’affaire et certains s’engagent et la destruction organisée de l’image d’Assange pendant des années est peu à peu reconstruite à partir des faits. C’est un travail de fourmis, laborieux, parfois désespérant, mais il faut s’atteler à démonter la propagande avec une grande exigence intellectuelle et beaucoup de rigueur. Il faut donc bien s’informer soit-même pour continuer à informer le plus grand nombre, calmement, avec des outils solides. Ithaka, le combat pour libérer Assange est un nouvel outil qui vient compléter et mettre à jour les quelques autres. Depuis Hacking-Justice, on ne peut plus se plaindre qu’il n’existe pas assez de supports en Français pour être informé de cette grande affaire de notre siècle, il faut juste s’interroger quand ils ne sont pas assez utilisés.

Olivier Azam, Les Mutins de Pangée.

https://www.lesmutins.org/ithaka-le-combat-pour-liberer-2934