Le procès de Bernard Squarcini s’est ouvert mercredi 13 novembre au tribunal judiciaire de Paris et doit durer quinze jours. L’ex-directeur du renseignement intérieur et ses sbires sont accusés (notamment) d’avoir infiltré notre journal et espionné François Ruffin pour le compte de la plus grande fortune de France : Bernard Arnault.
On vous raconte le procès de l’intérieur dans notre série “Les barbouzeries de Bernard Arnault : en immersion au procès du Squale”.
Partie 1. Les sbires de LVMH à la barre.
Mercredi 20 novembre 2024. Tribunal judiciaire de Paris.
L’audience commence. Le président du tribunal lit l’instruction, détaille l’ampleur du dossier et tous les moyens déployés par LVMH pour espionner Fakir et François Ruffin. On vous résumé l’affaire dans cet article.
Le président explique que la propre secrétaire de Bernard Arnault gérait avec Pierre Godé, alors numéro 2 de LVMH, la « veille permanente nécessaire », la surveillance « active » de Fakir et de François Ruffin. Dont les taupes infiltrées dans le journal…
Janvier 2019 : Bernard Arnault était entendu par les enquêteurs de l’IGPN. Il assurait n’avoir que « rarement » (ça va, alors…) rencontré Bernard Squarcini, embauché pour surveiller Fakir. Son numéro 2, Pierre Godé, qui pilotait l’opération ? « Il voulait empêcher que ce groupuscule ne vienne perturber LVMH ! ». « Groupuscule » ? C’est pas gentil, Bernard ! Nous on ne lésine pas à dire que tu es l’homme le plus riche du monde !
« Un système mafieux orchestré par monsieur Squarcini »
Juillet 2020 : M., l’une des taupes infiltrées à Fakir, est à son tour entendue par les enquêteurs. Les sbires de Squarcini lui ont présenté Fakir comme un groupe « révolutionnaire, facho et dangereux ». Allons bon… Mais elle trouve au bout de quelque temps les actions de Fakir « formidables et sympathiques ». M. se dit vite « troublée par les forces policières déployées » pour contrer un journal qui veut juste « offrir une assiette de moules-frites » à l’homme le plus riche du monde, Bernard Arnault… Au final ? M. estime avoir « évolué dans un système mafieux orchestré par monsieur Squarcini ».
Albert Farhat (l’une des taupes infiltrées à Fakir par Jean-Charles Brisard) : « Je me suis abonné au journal, je lis leurs livres. Oui oui, j’adhère à certaines de leurs convictions et de leurs combats, quand ils défendent les ouvriers par exemple ! Et même maintenant, quand je trouve le journal, je l’achète ! (Pour vous abonner à Fakir, comme Albert Farhat, c’est ici !)
Albert Farhat : C’est un travail de journaliste normal, que je fais en fait : savoir qui est qui, et qui fait quoi à Fakir. Un travail de veille informationnelle, quoi… Pardon ? Oui oui, je suis payé pour ça : 1500 euros par mois.
Le président : M. dit qu’elle se considérait à Fakir comme une infiltrée, comme une indic, et que cette stratégie avait été élaborée par vous, d’un bout à l’autre…
Albert Farhat : “Infiltrée”, non, c’est un terme… C’est pas ça une infiltrée…
Le président : Mais elle a quand même fait un travail de qualité, beaucoup de photos des gens de Fakir, des rapports écrits très longs pour vous…
Albert Farhat : Non, elle a même pas réussi à filmer le film [Merci Patron !, quand il était diffusé]. Je lui ai dit : “On va se faire doubler sur les images !” Moi-même j’ai pas réussi à les infiltrer, j’ai trop pris le truc à la légère…
Le président : Ah, donc vous avez essayé de les infiltrer…
Albert Farhat : Euh… Non, j’ai même pas essayé en fait… » C’est une pièce de théâtre, on dirait, qui se joue au tribunal.
Le président : « Vous dites que M. n’était pas infiltrée par vos soins à Fakir, mais vous lui avez fourni une GoPro pour filmer le film [Merci Patron !]…
Albert Farhat : Oui, oui, une GoPro…
Le président : Et un ordinateur aussi…
Albert Farhat : D’occasion !
Le président : Et un appareil photo…
Albert Farhat : Qu’elle m’a rendu cassé ! »
Les échanges délicieux entre Jean-Charles Brisard et Albert Farhat, lus par le Président : « “Petit con, faut vraiment que tu ramènes des infos sur Fakir, pour ça je t’ai déjà dépanné ta paye du mois de mars, t’es un lâche, un rat, je vais exploser ta gueule de petite merde, t’es qu’une racaille, un voleur, un menteur – Je t’attends en bas de chez toi à 20h30 pour voir si tu répètes ça !” »
Le Président : « Tout ça pour dire, monsieur Fahrat, que monsieur Brisard visiblement n’était pas très satisfait de vous, et qu’il vous mettait une certaine pression parce que lui-même avait une certaine pression : il attendait des informations importantes parce que lui-même devait les retransmettre à quelqu’un d’autre : il voulait le film… »
Maître Sarfati, avocat de Fakir et de François Ruffin, passe en revue les écoutes téléphoniques. Où l’on entend en particulier Bernard Squarcini appeler la secrétaire particulière de Bernard Arnault, qui le félicite :
« Ah mais c’est formidable, ce que vous avez fait !
– Oui, là on est infiltrés ! (Rires partagés)
Albert Fahrat : Pour ça, c’est monsieur Squarcini qui est responsable de ce qu’il dit…
Marlène (l’une des taupes infiltrées à Fakir) citée par maître Sarfati : J’ai fini en voyant le film [Merci Patron !] par sentir l’influence d’hommes comme Bernard Squarcini, et j’ai fini par sentir Albert Fahrat aussi. Au fond de moi, je n’étais pas tranquille. »
On oscille entre le rire et le dégoût dans ce procès. Le dégoût quand Albert Fahrat, à propos de M., lâche : « Non, elle n’est pas courageuse. Si elle avait été courageuse, elle aurait quitté son compagnon, qui la battait. »
« Ce sont des révolutionnaires, monsieur le Président ! »
Jean-Charles Brisard, directeur de JCB Consulting, nouveau prévenu appelé à la barre, accusé d’avoir espionné et fait infiltrer Fakir pour LVMH. Un spécialiste du terrorisme islamiste.
Infiltré à Fakir ? « C’est un abus de langage…Très tôt, dès 2011, j’ai commencé à m’intéresser à Fakir. Ce qui nous intéressait, c’était l’activité politique de Fakir. Parce que intervenir en Assemblée générale de LVMH, c’est une activité politique ! »
Donc activité politique = terrorisme ?
Les débats tournent autour d’un enjeu, crucial pour le tribunal : infiltration ou pas ? Bien sûr que non, jurent les prévenus, la main sur le cœur. D’ailleurs, « moi je ne sais pas qualifier les faits, je laisse au tribunal la possibilité de le faire », se dédouane Jean-Charles Brisard.
– Et vous avez bien raison ! sourit le président.
Jean-Charles Brisard : Il faut comprendre que pour moi, c’était un dossier très secondaire…
Le Président : Et pourtant, c’est fondamental. Là on n’est pas dans l’intelligence économique, on est dans l’infiltration, ce qui suppose duperie, déloyauté… »
Jean-Charles Brisard n’a rien fait, rien dit, d’ailleurs il ne comprend même pas pourquoi il est là : « Mais quels sont les faits qu’on me reproche exactement ?
Le Président : Quand il est dit dans vos échanges avec monsieur Séveno que vous avez constitué trois de vos équipes sous votre surveillance pour procéder à une fouille des gens de Fakir, “une au contact, une en périphérie, une dans le parking”…
J.C. Brisard : Oui, bon, ça, c’était pour valoriser mon action…
Le Président : Donc vous avez menti à monsieur Seveno ?
J.C. Brisard : Oui, enfin non, j’ai valorisé mon action, montré que j’étais sur le terrain… Nous, on voulait connaître les intentions de Fakir vis-à-vis de LVMH.
Le Président : Et les intentions de LVMH vis-à-vis de Fakir, ça nous intéresse aussi…
J.C. Brisard : Ah mais ça, moi, je ne connais pas toute la chaîne contractuelle au-dessus de moi, je ne sais pas… » Pour un spécialiste du renseignement, le gars ne sait rien, ne connaît rien à ce qu’il fait. C’est fou, quand même…
Le Président : « Et monsieur Squarcini, il était au courant de tout ce que vous faisiez lui ?
J.C. Brisard : Euh… euh… oui… oui. »
On peut dire ce qu’on veut : ça fait quand même bizarre d’entendre son nom, son numéro de téléphone, ou les noms et la vie des copines et copains, cités au tribunal parmi les infos qui ont circulé parmi les barbouzes de Squarcini et LVMH…
J.C. Brisard : « Fakir, c’est des gens qui veulent user de violence, avec des menaces réelles !
Maître Sarfati, avocat de Fakir et de François Ruffin : Vous parlez du Comité d’intervention en assemblée générale, avec lequel Fakir aide les salariés à instaurer un dialogue social au sein des AG des grandes entreprises. Alors, quels sont les éléments que vous avez collectés pour objectiver des actions violentes ?
J.C. Brisard : Il y a eu des débordements… Des interruptions d’AG, des calicots déployés, des prises de parole…
Maître Sarfati : Des ITT, des bris de vitre, des bousculades ?
J.C. Brisard : Non… Mais y a eu des sifflets ! En AG ! Monsieur Ruffin, dans ses écrits, il se revendique de Robespierre, de Babeuf ! Ce sont des révolutionnaires, monsieur le Président ! Avec son Comité d’intervention en assemblée générale, Fakir, après une intervention à l’AG de Casino, ils ont obtenu du groupe l’arrêt d’une procédure contre eux, et la signature d’une convention d’accord ! Ils étaient contents ! Ils ont même organisé une fête où ils disaient qu’ils allaient se baigner dans un jacuzzi de champagne ! » Consécration pour le Syndicat des Petites Mains Fakiriennes (SPMF) !
Un avocat de la défense : « Je suis votre avocat, monsieur Brisard, et vous le savez, je vous défendrai jusqu’au bout, avec fougue. Mais enfin, il faut reconnaître que les abus de langage, il y en a beaucoup… Quand on lit le dossier, les écoutes, on comprend que les magistrats se posent des questions… » Ben, nous aussi, en fait. Et on n’est pas les seuls. On a même déjà quelques pistes de réponses, si vous voulez…
« C’est inquiétant de voir ces méthodes se développer… »
Thibaut Bruttin, directeur général de Reporters sans frontières, à la barre : « C’est un vrai travail journalistique qu’a mené Fakir avec son documentaire. Que des entreprises très puissantes ou des hommes d’affaires se renseignent en amont sur ce travail, sur des journalistes, ou les espionnent, on l’a observé en Europe du Sud ou de l’Est. On le voit maintenant en France, et c’est inquiétant de voir ces méthodes se développer. LVMH avait utilisé ces mêmes méthodes avec le magazine Complément d’enquête en 2014, leurs journalistes et rédacteurs en chef l’avaient évoqué avec force. Il y a une forme de dérive envers les journalistes. Ce qu’on peut regretter, c’est que quand des capitaines d’industrie font ça, on ne retrouve au tribunal que les lieutenants, et pas le capitaine. Mon deuxième point, c’est la Convention judiciaire d’intérêt public. L’utiliser dans ce sens pourrait organiser une forme d’impunité, et organiser un privilège par l’argent. À ma connaissance, c’est la seule fois, dans la cinquantaine de cas ou la CJIP a été utilisée, qu’elle l’est contre un travail journalistique. Cela peut s’apparenter à un achat d’innocence. C’est un dévoiement de la CJIP. »
François Ruffin s’invite à la barre pour dire un mot : « Quel est le moment, dans les 25 ans de Fakir, où on a appelé à la violence ? Jamais. On avait des personnes en fauteuil roulant, dans nos interventions en AG ! Nos seules armes, c’est l’humour, et la parole. Donner la parole en AG aux salariés qui sont les premières victimes des décisions qui y sont prises. »
par Cyril Pocréaux 21/11/2024 – https://fakirpresse.info/les-barbouzeries-1-les-sbires-de-lvmh-a-la-barre
Les barbouzeries de Bernard Arnault : en immersion au procès du Squale
Partie 1. Les sbires de LVMH à la barre.
Partie 2. Bernard Arnault contre les journalistes : à faire froid dans le dos.
Partie 3. Squarcini / Ruffin : le face à face.