Plus de 50 journaux créés en quelques jours dans lesquels on informe, on interpelle, on débat, on caricature… La Commune de Paris est l’une des périodes historiques les plus riches en matière de liberté d’expression, bien qu’elle ait aussi interdit nombre de titres « ennemis ». Le 18 mars dernier, Les Amies et Amis de la Commune de Paris – 1871 ont rendu hommage à celles et ceux qui ont tenu la plume et les imprimeries en pleine insurrection. Les valeurs qu’iels défendaient trouvent encore un écho aujourd’hui.

Chaque année au jour anniversaire du début de la Commune (le 18 mars), un parcours thématique est proposé au public dans un des arrondissements de la capitale par l’association Les Amies et Amis de la Commune de Paris – 1871. L’objectif : faire vivre cette période souvent méconnue des Français·e·s, occultée des programmes scolaires, déniée par la classe politique. Pourtant, ce que les communard·e·s expérimentèrent en quelques semaines était extraordinaire : une école réellement gratuite et laïque, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’interdiction du travail de nuit des boulangers, l’émancipation des femmes, l’autogestion des entreprises, une presse reflétant tous les courants…

Pour le parcours 2024, une balade commentée dans le 2e arrondissement, Les Amies et Amis de la Commune de Paris avaient choisi de mettre la presse à l’honneur. Pourquoi ? « Le point de départ, c’est le bicentenaire de la naissance de la journaliste André Léo, répond Jean-Pierre Theurier, responsable de la commission culture au sein de l’association, en charge des parcours communards. De nombreuses femmes ont joué un rôle important durant la Commune, qui est un des premiers mouvements féministes du monde, au sens politique du terme. Mais ces femmes sont parfois masquées derrière l’aura de Louise Michel (1). »

André Léo, figure journalistique importante

Première station du parcours : 5 rue du Coq-Héron, où André Léo créa le journal « La Sociale ». Née dans un milieu cultivé de la bourgeoisie éclairée, Léodile Victoire Béra (de son vrai nom) fut d’abord romancière. Elle épousa le journaliste Grégoire Champseix dont les articles ne plaisaient pas au pouvoir monarchique. Le couple dut s’exiler en Suisse et ne put revenir qu’en 1860 lors de l’amnistie accordée par Napoléon III. Grégoire Champseix mourut trois ans plus tard.

André Léo vers 1860.

André Léo vers 1860.

Durant la Commune, André Léo (nom de plume inspiré des prénoms de ses jumeaux) participa aux assemblées pour faire valoir le point de vue des femmes. Son journal « La Sociale » parut du 31 mars au 17 mai 1871. Elle y lança son célèbre « Appel aux travailleurs des campagnes » qui visait à créer un mouvement de solidarité entre paysans extra-muros et ouvriers intra-muros. Fin mai, elle échappa à la répression en s’exilant à nouveau en Suisse et revint après l’amnistie de 1880. Elle devint rédactrice de « L’Aurore » et mourut en 1900.

Comment l’association a-t-elle conçu le parcours ? De quelles ressources a-t-elle bénéficiées ? « Nous avons des historiens parmi nous et beaucoup de passionné·e·s, souligne Jean-Pierre Theurier. On fouille dans les archives, les nombreuses études et ouvrages publiés. Le premier travail a été de lister les différents sièges des rédactions, des administrations des journaux et des imprimeries. Puis, il a fallu choisir des lieux variés, assez proches les uns des autres pour un parcours à pied, d’une heure et demi – deux heures. »

La liberté d’expression pour tous·tes ?

Ainsi, les participant·e·s ont fait halte rue Aboukir où était fabriqué « Le Cri du Peuple » de Jules Vallès ou encore rue du Croissant où « Le Père Duchêne » sortait tous les jours. Imprimé à 100.000 exemplaires, il était le journal le plus lu durant la Commune. Satirique, caricatural voire grossier, il prônait la liberté d’expression pour tous·tes, y compris pour les journaux anti-communards. « La Commune était divisée sur ce point, explique Jean-Pierre Theurier. Certains disaient que le débat devait se dérouler par la plume, qu’on ne devait interdire aucun titre. Mais d’autres n’en pouvaient plus de se voir sali·e·s dans la presse… C’était la guerre tout de même, c’était très violent ! Finalement, environ 35 journaux versaillais (2) ont été interdits. »

Parmi eux, quatre titres réactionnaires qui siégeaient au 123 de la rue de Montmartre : « L’Echo du soir », « La Presse », « L’Etoile » et « Le Corsaire ». Ce qui leur était reproché par la Commune ? « Contester la légitimité du pouvoir de Paris et inciter à la guerre civile ».

Des journaux achetés et lus collectivement

Impossible de faire le tour de toutes les anciennes rédactions : plus d’une cinquantaine ont vu le jour en deux mois, sans compter les affiches collées partout sur les murs ! Un mouvement qui fait suite à une longue période de censure. Comme le rappelle Jean-Pierre Gilbert dans son ouvrage « La Commune & les Communards du Cher » (lire la rubrique (Ré)créations), « Depuis le décret sur la presse du 17 février 1852, il n’y a plus de liberté d’expression en France. Les journaux sont bâillonnés car ils sont soumis à l’autorisation préalable et au cautionnement. Après deux avertissements pour deux articles qui déplaisent au pouvoir, ils sont suspendus, ce qui équivaut à leur disparition. Les journalistes s’auto-censurent. »

Sous la Commune, les journaux étaient achetés, lus et écoutés collectivement. A l’époque, 30 % seulement des hommes avaient appris à lire et à écrire. La sortie du journal ou le collage d’une affiche était l’occasion de se réunir pour découvrir, ensemble, les dernières nouvelles : l’état du siège, les comptes rendus des assemblées, les décrets pris par le comité central, les appels à rejoindre telle commission, les courriers des lecteur·ice·s, mais aussi les critiques des journalistes vis-à-vis de certaines décisions. « C’était un journalisme militant », reconnaît Jean-Pierre Theurier. Les journalistes s’engagent en dehors de leur métier : le 26 mars 1871, suite à des élections, le Conseil de la Commune est institué et, parmi les 92 élus de cette assemblée (aucune femme…), 12 sont journalistes (la majorité des élus étant ouvriers et employés).

Rue du jeûneur, c’est un autre aspect emblématique de la Commune qui a été mis en lumière durant le parcours du 18 mars : les coopératives. « L’imprimerie nouvelle » était une association ouvrière de production qui publiaient des textes de l’association internationale des travailleurs, des communiqués des mairies d’arrondissement, mais aussi des journaux communards tels que « La Nouvelle République », « L’affranchi », « Le vengeur », « Paris libre » ou encore « Le bulletin communal ». C’est à la même époque que fut créée la chambre syndicale typographique parisienne, qui est toujours en activité aujourd’hui.

Des valeurs particulièrement d’actualité

Quel héritage la Commune a-t-elle laissé aux médias ? « Le journal « Charlie Hebdo » est un peu l’héritier du « Père Duchêne », répond Jean-Pierre Theurier. Et « l’Humanité » découle directement de la Commune. » Son fondateur, Jean Jaurès, n’avait que 12 ans en 1871, mais il a été profondément marqué par ses idéaux.

En quoi l’expérience de la Commune permettrait aux journalistes d’aujourd’hui de s’affranchir d’un certain nombre de contraintes, de dépendances, pour exercer plus librement ? « C’est une excellente question ! Mais ce n’est pas à nous de dire aux journalistes comment ils doivent s’y prendre, c’est à eux de se pencher sur la Commune. Lorsqu’on l’étudie, elle est d’une extraordinaire actualité… »

Le 18 mars dernier, Dominique Pradalié, présidente de la Fédération Internationale des Journalistes, a pris la parole place Ghislaine Dupont, Claude Verlon et Camille Lepage, journalistes mort·e·s au Mali et en Centrafrique, symboles de tous·tes celleux qui exercent leur profession au péril de leur vie. Dominique Pradalié a rappelé qu’à Gaza en Palestine, plus de 100 journalistes ont été tué·e·s depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël, en octobre dernier. « Nous sommes certains qu’iels font honneur à leurs prédécesseurs de la Commune de Paris et sont leurs dignes successeurs. »

Actuellement la France se place au 24e rang mondial (sur 180 pays) du classement de la liberté de la presse par Reporters Sans Frontières (3). Les menaces qui pèsent sur le travail des journalistes et donc, sur le droit des citoyen·ne·s à une information de qualité, c’est la concentration des médias dans les mains de puissances économiques et idéologiques. Loi sur le secret des affaires, procès-baillons, remise en cause de la protection des sources, pressions sur les journalistes qui enquêtent sur les problèmes environnementaux… Les sujets d’inquiétude sont nombreux.
Dominique Pradalié a souligné combien la loi fondatrice de la liberté d’expression datant de 1881 était directement inspirée des principes et des valeurs de la Commune, et combien il était important, aujourd’hui encore, de la défendre.

Texte : Fanny Lancelin

Notes

Plus

Le parcours thématique sur les traces de la presse pendant la Commune est visible sur le site de l’association Les Amies et Amis de la Commune de Paris – 1871 : https://www.commune1871.org
Il ne sera pas renouvelé pour le moment mais de nombreux événements ponctueront l’année 2024, à Paris comme dans différentes régions dont le Berry. Rendez-vous sur l’agenda du site.
Les Amies et Amis de la Commune de Paris proposent régulièrement d’autres balades à Montmartre, la Butte aux Cailles, le Père Lachaise, lieux emblématiques de l’insurrection de 1871. Sur demande : 01 45 81 60 54 – amis@commune1871.org

Télécharger en PDF ↗