(article du Fonds pour la presse libre, publié le 14 mars 2024)
Plusieurs auditions du Fonds pour une presse libre devant des parlementaires et des groupes de travail des Etats généraux présidentiels de l’information ont permis de détailler les « 59 propositions pour libérer l’info » élaborées par les médias indépendants. Mais la mobilisation doit grandir pour tenter d’arracher une réforme enfin ambitieuse des médias.
Les « 59 propositions pour libérer l’info » font leur chemin. Elaborées par les Etats généraux de la presse indépendante organisés par le Fonds pour une presse libre, et rendues publiques fin novembre 2023, cet ensemble de propositions dessine une réforme ambitieuse de notre système d’information.
Le livret numérique des 59 propositions est à télécharger ici.
Plus de cent médias et organisations (syndicats, collectifs de journalistes, associations de défense des droits) ont participé à cette initiative. Dans un texte commun, ils soulignent trois points : « D’abord l’urgence de réformes ambitieuses de notre système d’information dont la dégradation ne cesse de s’accélérer. Ensuite, la nécessité de stopper les offensives multiples lancées par les puissances politiques et économiques contre un journalisme indépendant, d’intérêt public et au service des citoyennes et citoyens. Enfin, l’obligation commune de reconstruire une relation de confiance avec l’ensemble de nos publics. Une confiance aujourd’hui presque détruite par les liens de dépendance qui pèsent sur de trop nombreux médias ».
Le Fonds pour une presse libre, accompagné de représentants de différents médias indépendants (Politis, Mediapart, Rue-89 Strasbourg) ou associations (Sherpa), a été ou va être auditionné par plusieurs parlementaires et par différents groupes de travail des Etats généraux de l’information (EGI). Chaque fois, il s’agit pour nous de détailler nos 59 propositions, et de contrer le lobbying intensif mené par les patrons de médias tombés dans l’escarcelle de capitaines d’industrie et hommes d’affaires milliardaires.
Voici le détail de ces rencontres passées et à venir :
31 janvier : audition par la mission d’évaluation de la loi Bloche de 2016.
1er février : audition par le groupe 5 des EGI « L’Etat et la régulation ».
16 février : audition par le groupe 2 des EGI « Citoyenneté, information et démocratie ».
7 mars : audition par des parlementaires du groupe Médias et information majorité présidentielle (MIMP).
19 mars : audition par le groupe 3 des EGI « L’avenir des médias d’information et du journalisme ».
21 mars : audition par la députée Sophie Taillé-Polian (Ecologiste-Nupes), rapporteure d’une proposition de loi visant à protéger la liberté éditoriale des médias sollicitant des aides de l’État devant être examinée le 4 avril.
Que dire de ces auditions ? Que certaines nous ont paru peu utiles (lire notre article précédent). Que d’autres doivent nous encourager à poursuivre et à intensifier ce travail d’explication. De nombreux parlementaires -à l’exception de LR et du RN- se sont dit conscients et inquiets de la crise majeure des médias en France, crise d’indépendance d’abord, crise économique toujours, mais aussi des offensives redoublées contre un journalisme indépendant (procédures bâillons, atteintes au secret des sources, etc.).
Illustration Claire Robert
Rendu public le 6 mars, le rapport parlementaire d’évaluation de la loi Bloche de 2016 donne ainsi quelques signes encourageants (il est à lire ici). Prenant la mesure des insuffisances manifestes de cette loi face à la gravité de la situation, ses rapporteurs formulent 20 recommandations dont plusieurs reprennent ou s’inspirent des propositions des Etats généraux de la presse indépendante. Par exemple, les parlementaires demandent de :
« Créer un statut juridique pour la rédaction constituée en collectif ».
« Encourager le développement de sociétés de rédacteurs/sociétés de journalistes aux pouvoirs élargis afin de pouvoir intégrer les journalistes dans le processus de nomination des directeurs de rédaction et dans les choix stratégiques de leur journal ».
A ce sujet, seul l’un des deux rapporteurs, le député socialiste Iñaki Echaniz, propose d’« attribuer à la rédaction un droit d’opposition sur les nominations ayant des conséquences directes sur le contenu éditorial du journal ».
« Lutter contre la précarisation de la profession de journaliste en pérennisant des mesures d’aide aux jeunes pigistes ».
« Conditionner le versement des aides publiques au respect de normes éthiques de production de l’information ».
« Transposer au plus vite les dispositions de la directive relative aux procédures-bâillons afin de sanctionner efficacement les procédures judiciaires abusives visant les journalistes ».
« Procéder à une évaluation extensive de l’application de la loi du 4 janvier 2010 afin de renforcer la protection du secret des sources ».
Ces propositions répondent pour partie aux demandes de la presse indépendante. Il ne s’agit là que d’un rapport parlementaire, certes, et cet exercice est souvent promis à un oubli immédiat. Mais ce rapport vient s’insérer dans plusieurs travaux et débats en cours à l’Assemblée nationale. Ses propositions donneront peut-être un peu de courage, d’idées et d’audace aux groupes de travail des Etats généraux officiels de l’information (EGI) et aux autres parlementaires travaillant sur ces projets de réforme du système de l’information.
Outre la proposition de loi défendue par la députée Sophie Taillé-Polian (lire notre précédent article), les parlementaires du groupe MIMP nous ont expliqué travailler à une proposition de loi « plus large » devant être présentée à la fin du mois de mai. Les EGI doivent rendre public leur rapport au mois de juin.
Si l’on ajoute à cela la commission d’enquête parlementaire sur les conditions d’attribution des chaînes TNT (les autorisations de quinze chaînes doivent être renouvelées à l’automne, dont celles contrôlées par Bolloré), on ne peut que se satisfaire de voir l’Assemblée nationale se saisir enfin des questions fondamentales de pluralisme des médias et d’indépendance du journalisme.
Mais cela ne signifie pas réforme, et encore moins cette réforme ambitieuse demandée par la presse indépendante. Car le pouvoir exécutif affiche pour sa part un tout autre ordre du jour. L’Elysée, outre sa proximité avec Bernard Arnault, laisse filtrer ses opérations de réconciliation avec les médias Bolloré, opérations organisées par l’entourage direct du président de la République.
De son côté, la ministre de la culture Rachida Dati répète qu’elle n’a qu’une feuille de route : la réunification des médias du service public en une seule et même entité, un retour à l’ORTF, dénoncent les salariés.
Récemment invitée de Sonia Mabrouk, sur CNews et Europe1 (contrôlés par Bolloré), la ministre de la culture a commenté en ces termes cette réforme à « faire dans l’année », avait-elle-même précisé : « Le service public doit être le reflet de toutes les opinions et j’en appelle à la déontologie de chacun. Vous (Sonia Mabrouk), vous appartenez à un média privé qui est très dynamique, qui s’organise, qui fait face aux bouleversements technologiques… Eh bien, effectivement, le service public doit aussi s’y mettre ». Etrange hommage à un média d’extrême-droite soudain érigé en modèle…
Entre parlement, Etats généraux présidentiels et exécutif, les grandes manœuvres apparaissent donc engagées qui décideront du sort réservé au système d’information. Cela ne rend que plus nécessaire que le collectif de médias constitué à l’occasion des Etats généraux de la presse indépendante amplifie la mobilisation. Les réunions publiques organisées depuis novembre dans de nombreuses villes en région (lire notre article) sont un succès et montrent l’intérêt du public pour ces questions de liberté de l’information. De nouvelles initiatives seront annoncées dans les semaines à venir. En attendant, diffusez et faites connaître les « 59 propositions pour libérer l’info ».
François Bonnet